Thomas Flahaut et la question de la langue ouvrière

Le roman autour duquel tourne la discussion est Les nuits d’été, paru aux Éditions de l’Olivier en 2020. Il s’agit d’une histoire mêlant travail de nuit en usine effectué par les frontaliers français dans le Jura suisse et la question de l’accès des milieux plus privilégiés. Il semble en effet que la distinction entre les personnages se fasse selon leur grade dans l’usine: ouvrier ou chef, des postes assignés selon le niveau d’études. Thomas Flahaut, interviewé par Odile Cornuz, explique par ailleurs qu’il s’est en quelque sorte extrait de sa condition de «pauvre» grâce à son parcours universitaire. Il est français, a fait des études à Strasbourg puis en Suisse, à Bienne où il a intégré l’Institut littéraire.

La rencontre commence par une lecture performative de Thomas Flahaut, émouvante, dans laquelle on semble être aspiré. Par la suite, la discussion porte sur le travail de la langue réalisé par l’auteur. La question de la composition semble être importante : comment faire ressentir l’univers de l’usine ? L’écrivain nous informe qu’il a lui-même travaillé dans le milieu ouvrier, avec des machines, et qu’il a tenu pendant cette période une sorte de journal intime, un carnet de l’usine. Il y décrivait sa nuit de travail pour pouvoir «reprendre un peu de pouvoir sur l’aliénation». Le matériau de ce roman est donc autobiographique mais traité dans ce roman sur le mode de la fiction.

Quelle langue faut-il utiliser pour décrire l’univers de l’usine, si répétitif (on pense notamment au travail à la chaîne) ? Thomas Flahaut insiste sur le fait qu’il emploie une langue littéraire, c’est-à-dire celle des livres et celle qu’on apprend à l’école, il ne veut pas que sa langue ait des traits oralisants. Il veut que ses personnages parlent comme lui afin qu’ils ne représentent pas les clichés sociaux des prolétaires qui leur sont peut-être trop souvent attribués. Les dialogues sont minimalistes, à l’image de la méfiance des personnages envers le langage.

Aux yeux de Flahaut, la langue de l’usine est comme une langue étrangère, une langue qui sépare au lieu de rapprocher, ce qui peut sembler paradoxal dans la mesure où le support de l’histoire est un objet de langage, un livre. L’accent est mis sur l’importance des actions, «mieux vaut faire l’amour que d’en parler». L’auteur décrit par ailleurs ses personnages comme étant des taiseux, alors que lui-même ne cache pas le plaisir qu’il prend à parler : «Je suis un bavard».

Enfin, le temps manque pour vraiment aborder la question plus politique des frontières physiques, c’est-à-dire les frontières territoriales franco-suisses, puisque la discussion se voulait centrée avant tout sur la langue, à l’image de ces journées littéraires de Soleure.

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