Une fiction qui pousse à l’action

«Où réside l’action? Qu’est-ce qu’on peut faire ?» En réfléchissant à la catastrophe écologique, ce sont ces questions qui deviennent le moteur (écologique on espère) de Laure Tuia. Elle commence à noter ses idées en 2017, quant il y avait encore peu d’action en faveur de l’écosystème. Son premier roman, Emmerdeuse, raconte une fiction (ou une prédiction?) d’un groupe d’activistes qui font «péter les plombs» du gouvernement suisse dans le but de provoquer un changement radical pour le climat. Enfin du mouvement ! Lena, une journaliste pour la magazine Edelweiss, suit les traces des activistes, d’abord peu motivée et cynique vis-à-vis de tous ces jeux «écorigolos». Lena est habituée aux événements annuels du mois d’avril : la police qui attend patiemment la même manifestation qui se déroule chaque année, la foule qui marche dans les rues… Résultat : pas de changement. Laure Tuia nous lit un extrait du chapitre 3 et voici enfin de l’action ! Les Emmerdeuses sont en mouvement. Leur plan est simple et excellent : empoisonner les pollueurs! (Pas mortellement, ne vous inquiétez pas). Mais quelle belle ironie, de «polluer» ceux qui polluent notre planète. C’est en relatant ces actions «éco-terroristes» que la protagoniste commence à évoluer, perdant peu à peu son cynisme pour prendre activement conscience du vrai problème. Et d’une certaine manière, n’est-ce pas aussi l’espoir que l’auteur a pour nous ?

À travers un texte dynamique et très amusant, rempli de dialogues, de listes, de scènes théâtrales et des lettres, Laure Tuia s’amuse avec la forme et avec la langue. Son secret : la lecture à haute voix. La Vaudoise veut donner à sa protagoniste la liberté de parler comme elle le ferait dans son milieu, avec le but d’avoir une voix qui parle et qui n’écrit pas. «La langue est faite pour s’amuser» explique-t-elle, en partageant avec l’auditoire ses laurismes – des jeux des mots propres à elle qui font rire. Cependant, la langue n’est pas faite que pour s’amuser, mais aussi pour être écoutée. Elle doit être écoutée pour être comprise. Bref, écoutons ce que les Emmerdeuses ont à dire !

L’action s’accélère et le suspense augmente. Les Emmerdeuses ne s’arrêteront pas tant qu’il n’y aura pas de changement. Effet-miroir ? Laure Tuia a plein d’espoir. Depuis 2019, on voit de jeunes activistes défiler dans les rues : c’est «la génération Thunberg». Parler d’écologie est devenu un thème mainstream, explique-t-elle, «alors qu’il y a quatre ans, c’était plutôt hippie bobo petites fleurs«. Les jeunes d’aujourd’hui ont une vraie conscience écologique grâce à laquelle ils se rendent compte de l’urgence de la situation. Il faut agir maintenant, car les changements doivent être massifs et rapides. Pouvons-nous l’entendre plus clairement maintenant ?

Les thèmes sociaux de l’écologie, du féminisme et de l’injustice sociale qui sont mis en relief dans cet ouvrage créent cet effet-miroir car ils reflètent la société d’aujourd’hui. Ce roman à la base fictif nous pousse à réfléchir et, espérons-le, à agir. Ou faut-il que les voix des Emmerdeuses soient encore plus fortes pour être comprises?

Jeu de miroir

Nous avons assisté, ce matin, à un dialogue exquis entre prose et poésie animé par Prisca Agustoni et Bruno Pellegrino. Les deux auteurs ont mis «en dialogue»  leurs créations respectives dans une réflexion comparative soulevant les points de divergence entre deux genres littéraires, la prose et la poésie, et les points de convergence essentiellement thématiques, métaphoriques et philosophiques présents dans leurs œuvres respectives. 

Le recueil L’ora zero de Prisca Agustoni et le roman Dans la ville provisoire de Bruno Pellegrino prennent tous deux comme point central un lieu d’habitation, étranger et abandonné, pour construire une réflexion inquiète cherchant la sérénité et la quiétude.

Dans la ville provisoire est un roman qui retrace l’histoire d’un jeune homme parti à Venise pour faire l’inventaire des papiers et objets d’une célèbre traductrice qui s’est fait interner. Il se projette dans cette femme à travers ses écrits ainsi que les objets laissés derrière elle. 

Le recueil L’ora zero de Prisca Agustoni prend pour point central une maison étrangère ainsi que le jardin qui l’entoure pour construire une réflexion sur le temps, l’espace et les formes des objets contenus dans la maison. 

Dans les deux œuvres, l’observation de la nature dans sa dimension la plus ordinaire, des objets avec leurs traces d’usure révèlent un sentiment d’étouffement, d’angoisse, de solitude, d’insécurité voire de spleen.   

Ainsi, la prose de Bruno Pellegrino se fige et épouse la poésie de Prisca Agustoni pour enfanter une littérature hors genre capable de faire dialoguer ses réflexions, ses images et son mal-être.