Où mène le discours sur l’identité?

Telle était la question du podium sous la direction de l’écrivain Martin R. Dean. À cette question, il propose immédiatement deux hypothèses :

  • Le discours sur l’identité mènera à une forme de dictature.
  • Le discours sur l’identité mènera à une meilleure représentativité des minorités (ou décolonisation identitaire).

Pour parler de ces problèmes, Dean s’est entouré de trois écrivaines :

Il y a d’abord Mithu M. Sanyal. L’auteure du récent Identitti est présentée comme une Allemande d’une mère polonaise et d’un père indien. Ensuite, il y a Léonora Miano, une Franco-camerounaise vivant actuellement au Togo et auteure de Afropea. En enfin Dorothee Elmiger, auteure du roman Aus der Zuckerfabrik.

À eux quatre, ils nous offrent une perspective hétéroclite de ce qu’est l’identité européenne aujourd’hui. Cette perspective complexe se construit notamment par ce que Miano nomme les Afropéens ; les noirs nés en Europe. Elle nous rappelle en quoi cela est particulier car contrairement aux Afro-américains pour l’histoire américaine, les Afropéens peuvent potentiellement être laissés sur la touche de l’histoire européenne.

Inexorablement, le podium glisse de la question du discours identitaire vers la problématique du racisme en Europe et le mouvement BLM. La solution au problème et l’évolution des mœurs ne passent-ils pas par la terminologie? Pour éclairer ce point, M. Sanyal lit un extrait de son livre dans lequel un chauffeur de taxi se félicite de la fin du racisme en Allemagne. Ou du moins du « vrai » racisme.

L’auteure de Aus der Zuckerfabrik amène sa pierre à l’édifice en montrant l’inconscience de certains actes d’appropriation culturelle. Pour l’illustrer, elle prend un passage allégorique mettant en scène le propriétaire de deux sculptures de bois haïtiennes figurant des femmes. Sans vraiment y avoir prêté attention plusieurs année durant, le personnage les avait chez lui comme objets de décoration.

En introduction, Martin R. Dean avertissait l’auditoire de la lourde tâche que représentait toute tentative de réponse à la question titre du podium. « Où mène le discours sur l’identité ? » Nous ne savons toujours pas quoi y répondre. Difficile également de clore ce compte-rendu. Je me contenterai de reprendre les dires de Miano s’adressant à Martin R. Dean : « Ne coupez pas la parole aux dames. »

La leçon d’Afropea

Afropea est beaucoup plus que le titre du nouvel essai de Léonora Miano, romancière et essayiste franco-camerounaise. Ce beau néologisme désigne l’identité des personnes d’ascendance subsaharienne nées ou élevées en Europe. L'»utopie Afropea» est une invitation de l’auteure à renouveler les modalités relationnelles entre les peuples, soit, entre les grands continents de l’Afrique et de l’Europe. Cette catégorie propose l’apaisement du conflit et de l’histoire, explique Léonora Miano. Quant à l’ouvrage, elle précise qu’il ne s’agit pas d’une lecture politique, mais plutôt d’une lecture spirituelle de l’histoire qui pose comme postulat principal que l’être humain est «partout le même, en dépit de toutes les tragédies de l’histoire».

«Il faut regarder l’histoire de l’humanité et être capable de se situer là-dedans». Dans sa discussion avec Marina Skalova, Léonora Miano n’hésite pas à remonter au Moyen-Âge pour parler de l’esclavage. Elle avance que les Vikings avaient des esclaves qui ont souffert et subi la même déchirure et perte que les Africains à l’époque de la colonisation. Cependant, ce sont les esclaves africains dont on parle encore aujourd’hui. Et pourquoi ? Parce qu’ils ont été marqués par leur couleur, une distinction qui fait qu’on n’oublie pas, explique l’auteure. Or, il n’existe pas une humanité africaine, ni une humanité européene. L’essayiste poursuit en affirmant qu’il existe des différences culturelles liées à l’espace, mais qu’il se trouve une forte ressemblance entre les gens. «On partage les mêmes références !» Léonora Miano donne l’exemple de comment elle avait écouté de la musique française au Cameroun, malgré les milliers de kilomètres de distance, — «même Madonna!» Alors pourquoi cette distinction de race quand cela n’existait pas auparavant?

À l’évocation de la question raciale, Marina Skalova souligne le sentiment de colère qui selon elle serpente dans le texte. Mais cette impression de lecture est rapidement nuancée par l’auteure : «C’est plutôt un sentiment d’agacement» explique-t-elle. «Je déteste la critique de certains comportements chez les Afrodescendants… je déteste ce que nous présentons au monde comme des formes de protestation et qui pour moi sont tout l’inverse d’une connaissance de son pouvoir.» L’auteure refuse par conséquent la validité de la notion de race. Elle déclare au contraire que «l’identité est une question de vécu, non de race». En effaçant la notion de race, on pourra selon elle résoudre l’asymétrie qui existe entre les humains.

L’auteure d›Afropea aborde pour finir la question des représentations et le pouvoir de l’imaginaire qui influencent notre vision du monde. Elle donne l’exemple de James Bond et du «méchant Russe» qui a marqué l’imaginaire de toute une génération et souligne l’importance de ne pas réduire son propre être, ou celui des autres, aux clichés stigmatisants. Comme le temps passe trop vite, Léonora Miano termine avec une citation puissante qui illustre sa pensée post-occidentale : C’est «une proposition fraternelle et une exigence d’inclusion. Se revendiquer de deux grands espaces, c’est les faire vivre tous les deux en soi, et hors de soi de manière égale… l’un avec l’autre et l’un dans l’autre».