Hélène et le garçon

Pas le sien. Celui de sa sœur. Une fille-mère, comme on les appelle à cette époque, au début du XXème siècle. Le nom du père ? Il faut le cacher. C’est un secret. Un silence. Celui même qu’il s’agit d’entretenir pour l’écriture d’un tel roman. Trop foisonnant, trop complexe ; il faut laisser décanter, dit Marie-Hélène Lafon, son auteure.

Elle explique à Claire Jaquier, professeure émérite de l’université de Neuchâtel, qu’elle se considère à contre-courant. Alors que le monde se remplit de dialogues, de questions, de frénésie, son roman laisse place au toucher et à la profondeur. « Trop de paroles tuent le sens ». Ses propos sont illustrés par la lecture partielle du premier chapitre. Nous faisons connaissance avec l’attendrissant Armand, cinq ans, évoluant dans un environnement olfactif délicieux.

Professeure de langues classiques au degré supérieur, Marie-Hélène Lafon n’en est pas à son coup d’essai. Sa bibliographie se constitue d’une vingtaine d’œuvres et de plusieurs prix littéraires, notamment d’un prix Renaudot pour l’Histoire du fils dont il est question ici.

C’est une intrigue familiale. Il y a Paul, le père caché. Au moment des faits, il est de seize ans le cadet de Gabrielle, son amante. Elle les aime comme ça, un peu bad boys. Trouvé à l’institut elle lui enseigne tout. Mais voilà. Ce qui devait arriver, arriva. Neuf mois plus tard, c’est André qui voit le jour.

Mais Gabrielle est un esprit libre, voletant de ci de là (et surtout du Cantal à Paris, de la campagne à la ville). Pour préserver ce train de vie, elle confiera André à sa sœur Hélène et son mari Léon. Ravie, cette dernière l’ajoute à sa collection (trois filles qui deviendront les bras réconfortant d’André).

Les scènes s’enchâssent dans une chronologie bien particulière donnant le tournis au lecteur. L’auteure prévient, son ouvrage est exigeant : prévoyez un bloc-notes et de quoi établir un arbre généalogique. Après tout, on commence avant la naissance de l’enfant, en 1908 et on termine après sa mort, en 2008.

En fait, Histoire du fils, comme pour bon nombre de créations de Marie-Hélène Lafon, s’inspire grandement de la réalité. En 2012, elle apprend dans sa famille proche, l’histoire d’un enfant caché. Il est décédé, sa famille lui commandite un livre. Les huit ans séparant la réalité de la fiction sont autant d’années de réflexion pour surmonter les deux problèmes que pose cette histoire. Premièrement, elle est trop romanesque et mériterait douze tomes plutôt que douze chapitres (ou pourquoi pas une série ?). Deuxièmement, elle est trop heureuse. Et les histoires heureuses, nous dit Lafon, ça ne fait pas de bons romans…

Où mène le discours sur l’identité?

Telle était la question du podium sous la direction de l’écrivain Martin R. Dean. À cette question, il propose immédiatement deux hypothèses :

  • Le discours sur l’identité mènera à une forme de dictature.
  • Le discours sur l’identité mènera à une meilleure représentativité des minorités (ou décolonisation identitaire).

Pour parler de ces problèmes, Dean s’est entouré de trois écrivaines :

Il y a d’abord Mithu M. Sanyal. L’auteure du récent Identitti est présentée comme une Allemande d’une mère polonaise et d’un père indien. Ensuite, il y a Léonora Miano, une Franco-camerounaise vivant actuellement au Togo et auteure de Afropea. En enfin Dorothee Elmiger, auteure du roman Aus der Zuckerfabrik.

À eux quatre, ils nous offrent une perspective hétéroclite de ce qu’est l’identité européenne aujourd’hui. Cette perspective complexe se construit notamment par ce que Miano nomme les Afropéens ; les noirs nés en Europe. Elle nous rappelle en quoi cela est particulier car contrairement aux Afro-américains pour l’histoire américaine, les Afropéens peuvent potentiellement être laissés sur la touche de l’histoire européenne.

Inexorablement, le podium glisse de la question du discours identitaire vers la problématique du racisme en Europe et le mouvement BLM. La solution au problème et l’évolution des mœurs ne passent-ils pas par la terminologie? Pour éclairer ce point, M. Sanyal lit un extrait de son livre dans lequel un chauffeur de taxi se félicite de la fin du racisme en Allemagne. Ou du moins du « vrai » racisme.

L’auteure de Aus der Zuckerfabrik amène sa pierre à l’édifice en montrant l’inconscience de certains actes d’appropriation culturelle. Pour l’illustrer, elle prend un passage allégorique mettant en scène le propriétaire de deux sculptures de bois haïtiennes figurant des femmes. Sans vraiment y avoir prêté attention plusieurs année durant, le personnage les avait chez lui comme objets de décoration.

En introduction, Martin R. Dean avertissait l’auditoire de la lourde tâche que représentait toute tentative de réponse à la question titre du podium. « Où mène le discours sur l’identité ? » Nous ne savons toujours pas quoi y répondre. Difficile également de clore ce compte-rendu. Je me contenterai de reprendre les dires de Miano s’adressant à Martin R. Dean : « Ne coupez pas la parole aux dames. »