Le climat dans la littérature

Le climat et la crise écologique sont des sujets qui occupent notre société . Ils sont partout: sur nos assiettes, dans nos envies de voyage, sur les affiches électorales. La littérature, au contraire, était un domaine que, personnellement, je n’associais pas à la question du climat, du moins jusqu’à présent. J’étais donc d’autant plus curieuse de découvrir la littérature engagée pour cette cause au moment où je me connectais à l’un des flux à «écouter» sur le site web des Journées Littéraires.

Une voix de femme, calme, souhaite la bienvenue aux auditeurs et auditrices. Il s’agit de Marina Skalova, animatrice de cet entretien autour de la littérature et du climat. Après quelques mots d’introduction, une deuxième voix de femme, un brin plus grave que la première, prend le relais. Laure Tuia lit un chapitre de son roman Emmerdeuse, paru en 2020 aux Éditions des Sauvages. Dans l’extrait, une jeune femme éveille l’attention médiatique pour avoir organisé différentes actions visant à souligner la nécessité d’agir en faveur d’un changement écologique. Le roman de Laure Tuia parle précisément de cela: des personnes, surtout des femmes, qui luttent contre la crise écologique dans une Suisse romande qui ne se veut pas forcément réaliste mais utopiste.

Enfin, la dernière voix du trio (plutôt ténor que basse) se fait entendre. C’est celle de Pierre Vinclair, auteur d’un recueil de poésies intitulé La Sauvagerie, paru aux éditions Corti l’année dernière. Ses poèmes s’articulent autour de textes commandés par l’auteur à des collègues. Vinclair lit des extraits rassemblés sous le mot-clé de l’apocalypse. Je suis tellement absorbée par la mélodie et le rythme qu’amènent les idées et images par ondes sonores dans mon oreille que j’oublie complètement de noter des passages – désolée. Des impressions par ci par là me restent: «Glaçons made in pôle nord…statue de sel…Orphée…les vivants sont figés…»

Skalova lance la discussion. Face à la mobilisation due à ce sujet, la littérature peut-elle être une manière d’agir? Tuia et Vinclair répondent les deux par l’affirmative. Pour le poète, la mise en fiction de la question contribue à éveiller la conscience du public, autant que d’en parler à la télé. Laure Tuia utilise le terme de laboratoire pour souligner qu›Emmerdeuse lui a permis d’imaginer un monde où les lecteurs et lectrices peuvent vivre d’autres réalités possibles. L’animatrice remarque que les deux textes ne sont en aucune manière dominés par une tonalité de déploration, mais que bien au contraire, ils sont teintés d’humour. Pour la romancière Tuia, l’humour et la joie permettent de retrouver le souffle et le courage face à ce moment historique décourageant. «La tristesse ne mobilise pas les gens», ajoute Pierre Vinclair. Pour agir il faut de la créativité et pour être créatif, il ne faut pas perdre la joie.

Skalova attire l’attention sur une différence intéressante entre les deux textes. Tandis que le roman de Tuia est ancré en Suisse romande, les poèmes de Vinclair s’inscrivent dans un cadre global. Elle voulait créer un environnement reconnaissable, dit Tuia, pour montrer de cette manière-là ce qui pourrait être possible ici et maintenant. Les poèmes de La Sauvagerie se veulent plutôt la somme de toutes les facettes liées à la thématique. De manière impressionnante, Pierre Vinclair explique le choix du registre lyrique pour une telle entreprise. En effet, il faudrait des bibliothèques entières pour aborder tous les enjeux du changement climatique si on veut en parler sur un ton scientifique. La poésie, quant à elle, permet de toucher à tout, en même temps, comme le fait la crise, dans la mesure où elle permet des court-circuits et des allusions.

Les minutes filent, j’aurais envie de l’écouter encore un peu, cette discussion en trio. Mais il est temps, Marina Skalova termine l’entretien, les voix se taisent. Je ferme l’ordi, mais, plongée dans le silence, certaines idées résonnent encore en moi:

  • Écrire est une manière d’apporter une pièce à la constitution d’une culture qui est apte à penser et affronter la question du climat.
  • La littérature permet d’aborder un sujet sérieux et parfois pesant comme la crise du climat avec humour et avec joie.
  • Il faut que je note les deux livres sur ma liste de lecture.

Eidechse + Kind = enfant + lézard?

Atelier de traduction avec Vincenzo Todisco et Benjamin Pécoud

Das Eidechsenkind. L’existence bipartite du protagoniste du roman de Vincenzo Todisco est déjà inscrite dans son titre. Ce protagoniste, c’est un enfant qui vit en cachette, car personne ne doit savoir que ses parents italiens l’ont amené de manière clandestine dans le pays où son père a trouvé du travail. L’enfant apprend donc à disparaître en moins de rien sous le buffet, à rester pendant plusieurs minutes comme pétrifié derrière un rideau dès qu’une personne extérieure entre dans l’appartement, son habitat. C’était précisément ce mode de vie du personnage principal, ressemblant tantôt au lézard, tantôt à l’être humain, qui constituait l’un des défis majeurs de la traduction de Das Eidechsenkind dans les langues romanes. Vincenzo Todisco et Benjamin Pécoud en ont parlé dans un atelier de traduction animé par Marie Fleury Wullschleger.

Né à Stans en tant qu’enfant d’immigrés italiens, Vincenzo Todisco a écrit plusieurs textes en italien avant de publier Das Eidechsenkind en 2018, son premier roman en allemand. L’année passée, le traducteur et auteur Benjamin Pécoud a transposé le texte en français sous le titre de L’Enfant lézard. Todisco lui-même l’a traduit en italien peu après et a donc pu participer à la discussion non seulement en tant qu’auteur, mais aussi en tant que traducteur du texte.

Le problème de la traduction vers les langues romanes que les deux intervenants discutent le plus abondamment se pose dès le tout début du roman. Dans l’original, il s’agit des lignes suivantes:

Das Kind macht zuerst das linke und dann das rechte Auge auf. Es hat den Kopf an zwei Orten. Einmal in Ripa, wo ihm nichts geschehen kann, und einmal in der Wohnung, wo es die Schritte zählen muss. 

La difficulté tient d’abord aux différents genres grammaticaux . «Das Kind» en allemand est neutre, tout autant que le «es» qui le reprend dans les phrases suivantes. En effet, le sexe de l’enfant ne sera dévoilé au lecteur germanophone qu’au milieu du livre. Parce que dans l’intrigue, l’enfant doit se cacher dans l’appartement, Todisco dit qu’il a aussi voulu le cacher dans la langue. Le genre neutre a l’avantage de créer une incertitude par rapport au statut de l’enfant, de le déshumaniser et de souligner ainsi l’indétermination de son être, entre animal et humain. Pour la traduction par contre, Benjamin Pécoud n’a pas le choix. Puisque le français ne connaît pas de genre neutre, il doit poser les jalons dès les premières lignes. Le pronom «il» fait pencher la lecture tout de suite vers un petit garçon bien humain:

L’enfant ouvre d’abord l’œil droit, puis le gauche. Il a la tête à deux endroits. Une fois à Ripa, où rien ne peut lui arriver, et une fois dans l’appartement, où il doit compter ses pas. 

Le cas est encore plus clair en italien où «il bambino» ne peut qu’être un enfant de sexe masculin, sinon on utiliserait la forme «la bambina». L’effet d’indétermination entre fille et garçon, entre humain et animal est donc également impossible en traduction italienne:

Il bambino apre prima l’occhio sinistro e poi quello destro. Ha la testa in due posti: a Ripa, dove non gli può succedere niente, e nell’appartamento, dove è costretto a contare i passi.

Pécoud et Todisco évoquent d’autres problèmes rencontrés lors de la traduction du roman. Comment rendre avec précision certains termes ? Comment traduire le Konjunktiv 1 qui n’existe pas dans les langues romanes ? Mais le défi de la personnalité fluctuante de l’enfant reste présent. Si le verbe «horchen» est rendu par «écouter», la traduction ne rend pas justice à la grande précision du mot allemand, qui veut dire «écouter très attentivement pour entendre quelque chose de précis». L’alternative serait «tendre l’oreille». Cette option-là serait plus précise, mais elle a le désavantage d’impliquer de nouveau que l’enfant est humain, tandis que la version allemande ne choisit pas entre un statut humain et un statut animal. Pécoud a fini par opter pour «tendre l’oreille». La discussion le montre: faire des compromis est monnaie courante pour un traducteur.