L’inattendu(e)

Soleure : grand soleil, l’Aar, les montagnes…que demande le peuple ? J’arrive sur les lieux, je me perds, et puis je retrouve mon chemin. On y est, enchaînements de lectures et performances, certaines auxquelles je ne comprends pas grand-chose, d’autres qui me donnent des frissons, d’autres encore qui me transportent d’émotion au point de me tirer des larmes. À ma table, j’ai la chance de rencontrer tout à fait par hasard des autrices et auteurs, dont Rinny Gremaud, Daniel Sangsue, Douna Loup et Meloe Gennai. Sourires et connivences, l’ambiance est bonne, chaleureuse même. Je réalise que ce sont des gens simples, « normaux », loin de la figure mythique du sacro-saint « AUTEUR » là-haut dans le ciel. Et ça me rassure.

 

15h40, je mange une glace au bord de l’eau, quand Douna Loup me rejoint sur un coup du destin. On discute, je suis ravie, j’adore son œuvre, je déblatère. Loin de mon rôle d’étudiante-journaliste, on parle de femme à femme, on se confie avec toute la vulnérabilité qui va avec ce genre d’échanges intimes, où l’on se montre vraie face à une quasi-inconnue, où on ose parler franchement parce qu’après tout, on ne la reverra probablement pas, et que merde, on a envie de parler à Douna et pas à Douna Loup.

 

Tic-tac, 16h00 sonne, c’est l’heure de l’interview, tout le monde rentre dans son carcan préfabriqué. Ready, set, go :

 

Votre livre dénonce-t-il le modèle de couple que notre société nous vend comme le « vrai amour » ? Fidélité, éternité, possession.

 

J’avais envie de raconter autre chose que de la relation amoureuse normée, de parler de ce genre d’amour « hors cadre », qu’il manque parfois à la littérature. Il s’agit de cheminer ensemble par la déconstruction et le déconditionnement. Il faut pouvoir se sentir libre au sein de sa relation, sortir des carcans de l’amour et du couple. Ce n’est pas le propos de mon livre que d’imposer un autre modèle, il ne s’agit pas de promouvoir le couple libre comme un idéal – d’ailleurs les personnages ne finissent pas en relation libre. C’est simplement une invitation à chacun de redéfinir son couple et sa définition de l’amour.

 

Elie et Danis se sont rencontrés avec des idées préconçues de ce que le couple et l’amour devaient être. Il y a un moment de la vie d’Elie où le couple l’enferme, et elle a besoin de faire exploser cette cellule-là pour retrouver sa liberté. Après cette crise, ils cherchent à redéfinir la relation amoureuse qui leur convient à tous les deux, défaits des attentes sociales, quitte à modifier les limites de leur couple en lâchant prise sur la notion de contrôle.

 

Interview over.

 

Le reste des questions et réponses, et surtout les confidences que Douna m’a faites avant l’interview, je les garde pour moi. Cette femme n’est pas du tout ce à quoi je m’attendais, elle est d’une douceur infinie qui me désarçonne et qui me fait du bien. Et cette différence entre mon imaginaire et la réalité, avec la pointe de frustration qu’elle traîne derrière elle, me fait sincèrement chaud au cœur. Les gens ne sont jamais ce qu’on attend d’eux : ils sont.

 

Kaziwa Raim

Pause, pose, ose

Une voix, sonnante, une harpe, absente, remplacée par une seconde voix, qui chante.

La première voix lit, rit, vit.

La seconde vibre, tout en échos et en harmoniques.

Parfois mélancolique, parfois comique.

De la musique dans la poésie.

Du récit dans la mélodie.

 

Meloe Gennai et Makeda Monnet,

Une performance qui met la réalité en pause.

 

Une pause sans aucun doute unique dans le sens où

Pause

Dans le sens où

Pause

Qui ne serait pas qu’une pause qui emporte tout sur son passage mais bien plus que ça

 

Une performance qui met la réalité en pose. Une pose de la voix, une voix de la pose.

Une performance qui met la réalité en « ose ». Ose être toi-même, ose partager.

 

Anthony Ramser

Les Journées littéraires d’ailleurs

Un salon littéraire : un vaste espace total look blanc avec des stands rigoureusement alignés, un sens de la visite indiqué par un dépliant (attention, toujours respecter les indications du dépliant), des stands impressionnants et visibles pour les « grands » écrivains et moins de visibilité pour les « petits » auteurs. Voici l’image que je me faisais d’un salon littéraire et voici tout ce que les journées littéraires de Soleure ne sont pas.

 

Il suffit de quelques pas sur la rive gauche de l’Aar pour se retrouver dans une ambiance très chaleureuse où les passants vont et viennent sous un soleil éclatant, où les participants des journées littéraires sont reconnaissables grâce à leur pass noir porté fièrement comme une médaille et où les auteurs se mêlent à la foule. L’architecture baroque de la ville, l’imposante cathédrale qui surplombe Soleure et les petits bars extérieurs laissent planer une ambiance d’ailleurs. Les lieux de rencontre avec les auteurs, dispersés tout au long du fleuve, nous permettent de laisser notre imagination divaguer au rythme des lectures faites par les auteurs.

 

Un écart marqué entre le statut d’auteur et le statut de lecteur ? Absolument pas. Meloe Gennai nous a fait l’honneur de venir vers nous, de manière tout à fait naturelle : c’est l’auteur qui s’est spontanément intéressé à son public, à ses lecteurs et à leurs impressions face à son œuvre Temps, intempéries, tempérament. Je n’ai pas simplement rencontré un auteur, mais une personne avenante, abordable qui se lance sans hésitation dans une conversation au ton amical grâce au tutoiement. Quelques heures plus tard, des camarades sirotent une boisson fraîche sur la terrasse d’un bistrot, accompagnés d’Odile Cornuz et de Rinny Gremaud. On oublie, le temps de quelques jours, les obligations académiques pour se laisser emporter par cette chaleureuse ambiance littéraire.

 

Au moment où j’écris, je suis attablée dans le Solheure, bercée par une musique à peine perceptible et captivée par le mouvement, la foule en terrasse et ses conversations qui semblent passionnantes. L’ambiance on est tous là pour partager des journées littéraires de Soleure me pousse non seulement à m’intéresser de plus près aux auteurs et à leurs œuvres, mais m’encourage à me mettre moi aussi à écrire.

 

Dafina Meha

(H)ar(t)monie

Soleure, quatorze heures, une voix, répétée par un looper, la lecture de Douna Loup commence.

Soleure, quinze heures, rencontre avec Baptiste Gaillard, en réflexion sur la matière.

Soleure, dix-sept heures, Meloe Gennai et la soprano Makeda Monnet s’unissent, exploration.

Zurich, dix-neuf heures, récital de musique classique : « D’après Victor Hugo … des brumes diffuses des souvenirs d’enfance ».

Des villes différentes, des lumières différentes, des arts différents. Et pourtant, une forme de communion semble unir musique et lettres dans un même chemin indétectable. Éphémère.

Baptiste Gaillard m’a aujourd’hui convaincu que le poète ne manipule pas que les mots : il se fait à la fois architecte, plasticien, peintre et « compositeur » me dira-t-il dans l’après-midi en référence à Pierre Guyotat. Une connivence se crée alors entre les lettres qui rejoignent aussi bien les taches de peinture que les notes de musique. Connivence pourtant temporaire : Le mot structuré vient qualifier ce qui peut mieux perdurer. Pourtant, son pouvoir de recouvrement n’est que partiel. Tout comme l’est notre capacité à se maintenir dans la sphère nébuleuse où nous mènent les arts.

Baptiste Gaillard explore dans son laboratoire littéraire une brique infime de l’immensité des potentialités, et l’homme paraît soudainement minuscule face à cette infinité des possibles. Les arts planent alors sur nos têtes, immenses albatros que l’on ne peut rattraper dans les airs, malgré nos faibles tentatives pour battre de nos petits bras empêtrés.

Et l’on souhaiterait que le temps ralentisse, ralentisse, et s’arrête un instant : La frontière du solide et des eaux s’évanouit. La vase où d’un éclairage pauvre scintillent des chatoiements remugle entre les pierres. Tout ralentit, s’enlise ou fonte ou flotte, comme des feuilles recouvrant le bain. En grande confusion de reflets. Les sons mêmes sont à l’étouffée, sinon les piaillements aux branches, des grenouilles et des grillons dans les tiges, extraits des êtres à leur mesure.

En contemplant ce travail de la matière chez Baptise Gaillard, on désire alors que la poésie se fige en mouvement dans ce moment impalpable entre les états de fusion, dans ce degré précis où l’eau devient cristal de glace ; tout comme nous souhaitons avidement parvenir à nous maintenir en contact avec les mots ou les notes. Comme si notre corps pouvait cesser d’être et disparaître pour nous permettre de rester accrocher hors de nous. « On ne sait plus si on écoute, ou si on ne fait qu’entendre, mais c’est quelque chose qui nous touche ».

Mais que nous soyons minuscules ou non face à cette immensité des possibles, les œuvres demeurent humaines et le génie se construit dans la collectivité. Aujourd’hui, Soleure et Zurich se donnent inconsciemment la main dans cette création artistique : Des mailles sont lâches et des filaments disjoints flottent en arabesques. De légères oscillations valent ici pour un vibratoire plus général.

Finalement, le texte est une musique qui vit, qui veut s’élever à voix haute pour sortir de sa prison d’encre et de papier. Il veut chanter, flotter, vivre. Alors la musique devient une poésie et la poésie se fait musique.

Les gouttes résonnent les unes après les autres, puis toutes ensemble avant de se perdre à nouveau. Des rythmes différents se récupèrent.

 

Velia Ferracini