Douna Loup, Douna Loup, Douna Loup, Douna Loup.

Une note. Une voix. Répétées. Répétées en boucle alors que Douna Loup commence sa lecture.

Le looper qu’elle utilise pour maintenir ce cycle sonore rappelle la forme du texte avec ses sept cahiers sans ordre prédéfini, forme reposant sur un morcellement : morceler le texte pour morceler les voix, laisser une place au lecteur et lui offrir de construire sa propre histoire. Cette exploration du fragment initie la rencontre à l’autre, aux autres.

Car Déployer réfléchit à la foule intérieure, à notre boule-facette intrinsèque et nous invite à ne pas être figés dans une personnalité établie mais à demeurer en perpétuel mouvement. Mouvement sur le regard que l’on se porte : Je m’invente des autres qui font partie de moi et ça me met en vacances des autres moi qui font partie de moi. Mais aussi sur celui que l’on porte à l’autre du dehors :

Désaccord. Des accords. Des à corps. Des sac or. Désaccord.

Un et Une face à face qui ne sont pas d’accord. Une et Un face à face qui ne sont pas d’accord mais qui se tiennent la main et qui avancent. Et le défi va être de se tenir la main et de garder en soi chacun son accord avec soi.

Douna Loup appelle à une relativité du regard et explique que l’on ne pourra jamais connaître l’autre, notamment parce que celui-ci est oscillant : Je ne connais pas l’intérieur de ton monde, ta perception unique fragmentaire et diffuse de la vie.

De là on découvre deux sortes d’autres : les autres en soi qui émergent de nous, et cet autre extérieur, qui ne sera jamais connu que par bribes. Ce dernier se vit parfois à deux, s’augmente dans l’amour : « oser au point d’être en intimité, au point de faire l’amour et qui mène à quelque chose de plus grand que soi » développe Douna Loup dans l’après-midi.

Mais cette rencontre avec l’autre se fait aussi plus politique lorsqu’Elly visite un camp de réfugiés et qu’elle explore l’altérité dans une dimension plus globale. Il s’agit alors de s’interroger sur la différence, sur « comment respecter la liberté », sur « comment accueillir cet autre avec toutes les questions que cela soulève ».

Et Douna Loup insiste sur l’amour, qu’elle décrit comme un arbre qui pousse, une énergie de vie, un lien avec la nature. C’est, nous dit-elle, « être émerveillé et laisser l’autre dans sa liberté et dans sa beauté ». C’est pourquoi Déployer est une ode au féminin comme au masculin, formes pourtant floues qui ne devraient pas être fixées dans des cases. Une ode qui exhorte à s’aimer, à regarder les différentes parties de notre être et à les accepter. Déployer est un cri murmuré de tolérance et de liberté.

Nous sommes tous un. Nous sommes tous faits de la même matière.

 

Velia Ferracini

(H)ar(t)monie

Soleure, quatorze heures, une voix, répétée par un looper, la lecture de Douna Loup commence.

Soleure, quinze heures, rencontre avec Baptiste Gaillard, en réflexion sur la matière.

Soleure, dix-sept heures, Meloe Gennai et la soprano Makeda Monnet s’unissent, exploration.

Zurich, dix-neuf heures, récital de musique classique : « D’après Victor Hugo … des brumes diffuses des souvenirs d’enfance ».

Des villes différentes, des lumières différentes, des arts différents. Et pourtant, une forme de communion semble unir musique et lettres dans un même chemin indétectable. Éphémère.

Baptiste Gaillard m’a aujourd’hui convaincu que le poète ne manipule pas que les mots : il se fait à la fois architecte, plasticien, peintre et « compositeur » me dira-t-il dans l’après-midi en référence à Pierre Guyotat. Une connivence se crée alors entre les lettres qui rejoignent aussi bien les taches de peinture que les notes de musique. Connivence pourtant temporaire : Le mot structuré vient qualifier ce qui peut mieux perdurer. Pourtant, son pouvoir de recouvrement n’est que partiel. Tout comme l’est notre capacité à se maintenir dans la sphère nébuleuse où nous mènent les arts.

Baptiste Gaillard explore dans son laboratoire littéraire une brique infime de l’immensité des potentialités, et l’homme paraît soudainement minuscule face à cette infinité des possibles. Les arts planent alors sur nos têtes, immenses albatros que l’on ne peut rattraper dans les airs, malgré nos faibles tentatives pour battre de nos petits bras empêtrés.

Et l’on souhaiterait que le temps ralentisse, ralentisse, et s’arrête un instant : La frontière du solide et des eaux s’évanouit. La vase où d’un éclairage pauvre scintillent des chatoiements remugle entre les pierres. Tout ralentit, s’enlise ou fonte ou flotte, comme des feuilles recouvrant le bain. En grande confusion de reflets. Les sons mêmes sont à l’étouffée, sinon les piaillements aux branches, des grenouilles et des grillons dans les tiges, extraits des êtres à leur mesure.

En contemplant ce travail de la matière chez Baptise Gaillard, on désire alors que la poésie se fige en mouvement dans ce moment impalpable entre les états de fusion, dans ce degré précis où l’eau devient cristal de glace ; tout comme nous souhaitons avidement parvenir à nous maintenir en contact avec les mots ou les notes. Comme si notre corps pouvait cesser d’être et disparaître pour nous permettre de rester accrocher hors de nous. « On ne sait plus si on écoute, ou si on ne fait qu’entendre, mais c’est quelque chose qui nous touche ».

Mais que nous soyons minuscules ou non face à cette immensité des possibles, les œuvres demeurent humaines et le génie se construit dans la collectivité. Aujourd’hui, Soleure et Zurich se donnent inconsciemment la main dans cette création artistique : Des mailles sont lâches et des filaments disjoints flottent en arabesques. De légères oscillations valent ici pour un vibratoire plus général.

Finalement, le texte est une musique qui vit, qui veut s’élever à voix haute pour sortir de sa prison d’encre et de papier. Il veut chanter, flotter, vivre. Alors la musique devient une poésie et la poésie se fait musique.

Les gouttes résonnent les unes après les autres, puis toutes ensemble avant de se perdre à nouveau. Des rythmes différents se récupèrent.

 

Velia Ferracini

Notre équipe à Soleure: Velia Ferracini

Étudiante en Français et Histoire à l’Université de Fribourg, Velia Ferracini a exploré les différentes sphères liées à ses domaines d’études par un stage dans le journalisme réalisé au Nouvelliste, un travail d’auxiliaire aux archives de la ville de Sion ainsi que deux participations au jury du Choix Goncourt de la Suisse. Elle a également un grand intérêt pour la culture, qu’elle a pu développer en travaillant dans différents festivals de musique (Sion Festival, Verbier Festival). Sensible aux questions féminines et aux littératures d’après-guerre, elle se réjouit de découvrir de nouveaux horizons lors des journées littéraires de Soleure.