(H)ar(t)monie

Soleure, quatorze heures, une voix, répétée par un looper, la lecture de Douna Loup commence.

Soleure, quinze heures, rencontre avec Baptiste Gaillard, en réflexion sur la matière.

Soleure, dix-sept heures, Meloe Gennai et la soprano Makeda Monnet s’unissent, exploration.

Zurich, dix-neuf heures, récital de musique classique : « D’après Victor Hugo … des brumes diffuses des souvenirs d’enfance ».

Des villes différentes, des lumières différentes, des arts différents. Et pourtant, une forme de communion semble unir musique et lettres dans un même chemin indétectable. Éphémère.

Baptiste Gaillard m’a aujourd’hui convaincu que le poète ne manipule pas que les mots : il se fait à la fois architecte, plasticien, peintre et « compositeur » me dira-t-il dans l’après-midi en référence à Pierre Guyotat. Une connivence se crée alors entre les lettres qui rejoignent aussi bien les taches de peinture que les notes de musique. Connivence pourtant temporaire : Le mot structuré vient qualifier ce qui peut mieux perdurer. Pourtant, son pouvoir de recouvrement n’est que partiel. Tout comme l’est notre capacité à se maintenir dans la sphère nébuleuse où nous mènent les arts.

Baptiste Gaillard explore dans son laboratoire littéraire une brique infime de l’immensité des potentialités, et l’homme paraît soudainement minuscule face à cette infinité des possibles. Les arts planent alors sur nos têtes, immenses albatros que l’on ne peut rattraper dans les airs, malgré nos faibles tentatives pour battre de nos petits bras empêtrés.

Et l’on souhaiterait que le temps ralentisse, ralentisse, et s’arrête un instant : La frontière du solide et des eaux s’évanouit. La vase où d’un éclairage pauvre scintillent des chatoiements remugle entre les pierres. Tout ralentit, s’enlise ou fonte ou flotte, comme des feuilles recouvrant le bain. En grande confusion de reflets. Les sons mêmes sont à l’étouffée, sinon les piaillements aux branches, des grenouilles et des grillons dans les tiges, extraits des êtres à leur mesure.

En contemplant ce travail de la matière chez Baptise Gaillard, on désire alors que la poésie se fige en mouvement dans ce moment impalpable entre les états de fusion, dans ce degré précis où l’eau devient cristal de glace ; tout comme nous souhaitons avidement parvenir à nous maintenir en contact avec les mots ou les notes. Comme si notre corps pouvait cesser d’être et disparaître pour nous permettre de rester accrocher hors de nous. « On ne sait plus si on écoute, ou si on ne fait qu’entendre, mais c’est quelque chose qui nous touche ».

Mais que nous soyons minuscules ou non face à cette immensité des possibles, les œuvres demeurent humaines et le génie se construit dans la collectivité. Aujourd’hui, Soleure et Zurich se donnent inconsciemment la main dans cette création artistique : Des mailles sont lâches et des filaments disjoints flottent en arabesques. De légères oscillations valent ici pour un vibratoire plus général.

Finalement, le texte est une musique qui vit, qui veut s’élever à voix haute pour sortir de sa prison d’encre et de papier. Il veut chanter, flotter, vivre. Alors la musique devient une poésie et la poésie se fait musique.

Les gouttes résonnent les unes après les autres, puis toutes ensemble avant de se perdre à nouveau. Des rythmes différents se récupèrent.

 

Velia Ferracini

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