François-Henri Désérable, un nom qui prend de la place

François-Henri Désérable se fait attendre à Soleure. Par peur de ne pas trouver de place, je me rends avec un peu d’avance dans la salle qui se remplit petit à petit jusqu’à ce que tous les rangs soient bien occupés. Une fois le public installé, la discussion débute. Cette dernière et le silence sont vite brisés lorsque François-Henri Désérable préfère se présenter lui-même, entamant par une blague, sans laisser le choix à la modératrice qui s’efface derrière les rires de l’auditoire. Dès cet instant et jusqu’à la fin du temps qui lui était accordé, Désérable nous présente des anecdotes en laissant transparaître son talent de romancier et de conteur. C’est ainsi que nous sommes charmés d’apprendre la rencontre de sa grand-mère avec un gondolier vénitien, la première interaction entre l’écrivain et Brigitte Macron (alors son enseignante), ou encore sa première lecture de Belle du Seigneur qui provoque en lui un «truc miraculeux» le menant à l’écriture. De ses histoires de jeunesse à son histoire d’amour récente, qui naît d’un échange de titres littéraires en guise de communication, François-Henri Désérable sélectionne les aspects de sa biographie qu’il souhaite offrir à son public.

L’auteur est invité à Soleure avec sous son nom, Mon Maître et Mon Vainqueur et Lecture et discussion. Mais avant d’y parvenir, François-Henri Désérable préfère passer en revue toutes ses précédentes publications. La discussion initialement prévue se transforme en performance maîtrisée et rythmée par l’auteur qui semble même aller jusqu’à harmoniser les moments de rire et les moments d’écoute. Pour lui qui se décrit comme ayant été dans une «ignorance crasse» avant de porter son intérêt sur la littérature à 18 ans, la récitation de vers et de phrases, semble un exercice quotidien auquel il consacre une importance particulière. De sa voix envoûtante, François-Henri Désérable nous déclame du Verlaine, Gary, Aragon, Cioran, Baudelaire, et j’en passe. Sa connaissance virtuose des textes littéraires éblouit – mais parfois on s’interroge: ces paillettes resteront-elles dans notre mémoire?

Et puis, enfin, la modératrice amène son invité sur le sujet du Grand Prix du Roman de l’Académie française 2021, j’ai nommé : Mon Maître et Mon Vainqueur. De ce «polar poétique et amoureux», il s’agit d’en lire un passage et d’aborder les questions préparées par la modératrice avant de répondre à celles éventuellement posées par le public. Le temps presse : il ne reste plus que 15 minutes sur les 45 dédiées à François-Henri Désérable. Une brève introduction et un «Et !» (puissant et marquant la volonté de l’auteur de préciser un propos) plus tard, l’écrivain ouvre son livre et commence à lire. Le passage choisi donne l’occasion d’une nouvelle anecdote liant l’auteur à son narrateur. Une question posée par une auditrice en permet encore une autre. Et c’est la fin. Le temps est écoulé. Enfin, presque. Avec une dernière petite histoire pour remercier son public et toute l’organisation des journées littéraires – en l’occurrence le récit de sa balade enchantée sur un chemin de crête sur les hauteurs de Soleure -, François-Henri Désérable termine sa prestation de 45 minutes, nous laissant encore dans l’ambiance de sa performance comme si nous y étions plongés depuis plusieurs heures.

L’intervention de François-Henri Désérable s’est présentée à mes yeux comme un spectacle auquel on assiste avec amusement et, parfois, un brin d’agacement face au caractère grandiloquent de l’écrivain. Mon Maître et Mon Vainqueur s’est effacé derrière son auteur, qui est également son narrateur – mais après tout, les trois méritent d’être connus du public.

Man kann nicht fragen:
«Erzähl mal»

Draussen scheint die Sonne, drinnen sitzt Lika Nüssli beim Werkstattgespräch zur Jugend- und Kinderliteratur für Erwachsene zwischen Palmen. Das erinnert ein wenig an Ferien. Worüber sie in ihrem Buch Starkes Ding. Die Geschichte eines Verdingkindes, basierend auf den Erinnerungen meines Vaters spricht, ist aber das Gegenteil von unbeschwert.

Eigentlich trug Nüssli die Idee zum Buch schon eine Weile mit sich herum. Sie war jedoch der Meinung, dass sie zuerst selbst reifen musste um der Geschichte ihres Vaters gerecht zu werden. Zu Beginn der Corona-Pandemie war es schliesslich soweit. Nüssli hielt sich gerade in Belgrad auf. Während der Ausgangssperre fing sie an, ihren Vater anzurufen, der sich in der Schweiz in einem Altersheim ebenfalls im Lockdown befand. Durch diese Gespräche merkte sie, wie fragil das Leben ist und dass sie zu spät angefangen hat, ihrem Vater Fragen über seine Zeit als Verdingkind zu stellen. «Das Erlebte ist jedoch so gross, dass man jemanden nicht einfach so fragen kann: ‹Erzähl mal!'». Nüssli stellte deshalb ein Konzept mit Fragen zusammen, welche die Türe zu Erinnerungen öffnen sollten. Wieder zu Hause in der Schweiz führten die beiden die Gespräche fort.

«Es war so wie ein Schatz, den ich gehoben habe», meint Nüssli über die immer zahlreicheren Kindheitserinnerungen, die ihr Vater hervorholte. Ihr ist bewusst, dass sie Verantwortung für die Geschichte ihres Vaters trägt und will deshalb sorgfältig damit umgehen. Durch den Prozess hat sie viel über ihn erfahren und ist dankbar dafür, dass sie beide über eine – wie sie es nennt – «Sprachbrücke» wieder zusammengefunden haben. Aber auch mit anderen findet sie sich. Seit Erscheinen des Buches kommen immer wieder Menschen auf sie zu, deren Väter ebenfalls Verdingkinder waren oder die nun selbst etwas über den eigenen Vater erfahren möchten. So reichen die Diskussionen so über das Buch hinaus.

Die Bilder im Buch hat Nüssli selbst gezeichnet und sich dabei von Senntumsmalerei – Appenzeller und Toggenburger Bauernmalerei – inspiriert. Jedoch hat sie diese in Kinderzeichnungen umgewandelt. Gleichzeitig war es der Autorin wichtig, in den Bildern die Zeit der 1950er Jahre anklingen zu lassen. Die schwarz-weissen Zeichnungen, die auch skizzenhafte Elemente aufweisen, machen die Notlage der Verdingkinder deutlich. Dennoch ist sie der Meinung, dass Text eine Geschichte besser vermitteln kann als Bilder, die unterschiedlich interpretierbar sind.

Die Frage aus dem Publikum, ob sie auch Interviews zusammen mit ihrem Vater gegeben hat, bejaht Nüssli lachend. Ihr Vater habe es genossen und den Eindruck erweckt, als habe er schon immer Interviews gegeben. Zudem nütze er die Gelegenheiten jeweils, ihre Darstellungen im Buch zu korrigieren oder sogar noch weitere Geschichten zu erzählen. Ihre Zeichnungen fände er jedoch wild und er sei auch der Meinung, dass das Buch zum Preis von 35 Franken viel zu billig sei.

L’écriture est un mystère

L’auteur Pier Paolo Corciulo est à l’interview en ce samedi après-midi à Soleure. Nous parlons de son dernier livre, Le Cri des mouettes, publié aux Presses littéraires de Fribourg

D’où vous est venue l’envie, le besoin d’écrire Le Cri des mouettes ?

Cela part d’un moment que j’ai vécu, en 2015. J’étais hospitalisé, j’avais des soucis de santé, on a dû m’opérer de toute urgence. Et quand je me suis réveillé, j’avais des sons qui me parvenaient. Et j’avais l’impression que c’était des enfants qui se chamaillaient juste derrière l’hôpital. J’ai appris plus tard que c’était des mouettes… J’ai retranscrit ça sur un bout de papier et c’est à partir de là qu’est né Le Cri des mouettes. L’idée du narrateur amnésique est venue plus tard, mais là on est déjà dans la fiction.

Écrire pour vous, c’est un besoin ? Une nécessité ?

Oui, c’est un besoin. C’est clair. J’ai toujours la tête qui part vers l’envie d’écrire. Même si pour moi, c’est encore un mystère, ça reste quelque chose de nouveau. J’ai commencé à écrire à l’âge de 15 ans, mais je n’étais pas du tout armé parce que je détestais lire. Puis j’ai eu une professeur au lycée qui m’a vraiment donné envie de lire, pas les grands classiques qui m’ennuyaient à mourir, bien que j’ai appris à les aimer plus tard. En fait, je n’étais pas encore prêt, je le dis dans Le Cri des mouettes : c’est comme si on donne un repas gastronomique à un nouveau-né. Ça ne se fait pas, je n’étais pas prêt.

Finalement, vous avez commencé par écrire avant même de lire ?

Oui, grâce à la musique. J’adorais la musique française, la musique italienne. Et j’ai commencé à écrire par rapport à des textes que j’écoutais. Pourtant, assez vite, je me suis rendu compte que j’étais super limité, parce que je n’avais pas le bagage littéraire. Et c’est en découvrant Des Souris et des hommes de Steinbeck, mon bouquin de référence, que je me suis dit qu’on pouvait écrire ce genre de littérature. Il n’y a pas besoin d’écrire à la façon de Molière, de Hugo, on peut se laisser aller, vers quelque chose de plus décomplexée.

Dans le roman, l’histoire se déroule dans deux lieux bien définis, Neuchâtel et un petit village de pêcheurs du sud de l’Italie. On remarque assez vite le parallèle avec vous… C’est important, de placer les protagonistes de votre fiction dans des lieux que vous connaissez, que vous aimez ?

Je voulais rendre hommage à mes racines. Mais je ne voulais pas le faire, enfin j’espère que je ne l’ai pas fait de façon trop mielleuse, avec un thème qui peut vite tomber dans la mièvrerie. Je suis né à Neuchâtel, j’allais en vacances dans le sud de l’Italie avec mes parents. Quand j’étais ado, j’étais considéré comme un Italien en Suisse, et quand j’allais en Italie, on nous disait « ah voilà les Suisses qui arrivent ». Quand on est adolescent, on ne sait pas où on est, on se cherche encore, et je me demandais qui j’étais vraiment. Ce rapport à l’identité était important. Avec les années, j’ai fait la paix avec tout ça. Je sais que je suis les deux. Mais à un moment donné, être les deux c’est comme si on ne vivait qu’à moitié. J’avais besoin d’explorer ce passage. Comme j’ai fait la paix avec cette histoire, c’est le moment de parler de mon identité, de mes origines. J’ai donc pris ce narrateur comme alter-ego. Mais dans tous les livres, on parle de soi. Parfois on arrive à déguiser, parfois c’est plus flagrant.

On ne peut pas aller au-delà de nous-même dans les livres ?

Vous savez, c’est mon quatrième livre, avant j’avais fait des polars. Mais au fond, je parlais déjà de moi, mais de façon plus déguisée. Dans Le Cri des mouettes, j’avais envie de m’approcher de moi-même. Ce n’est pas une question d’égocentrisme, enfin peut-être que tous les écrivains sont égocentriques. Je n’écris pas pour rendre la réalité limpide. J’écris par réalisme, pas par réalité. Et c’est deux choses différentes.

Votre livre est une quête d’identité. Une façon de chercher l’apaisement ?

Oui, il y a de ça. Bien sûr, je ne l’ai pas écris pour faire la paix avec moi-même, ça je n’y crois pas. Si tu veux une thérapie, tu vas chez le psy… J’ai plutôt fait la paix avec moi-même et ensuite j’ai eu envie d’écrire quelque chose sur mon histoire. Albert Camus disait : mon pays, c’est la langue. C’est ce que j’aime, avant d’écrire une histoire : j’aime travailler sur le style.
C’est lui qui induit mon histoire, non l’inverse.

Blaise Ndala disait hier à Soleure, lors de la lecture de son roman Dans le ventre du Congo, qu’un romancier est un peu comme un Dieu dans un univers qu’il crée de toutes pièces. Vous ressentez cela en écrivant ? Cette ivresse de pouvoir faire subir à vos personnages ce que vous voulez ?

Bien sûr, écrire est jubilatoire ! Je n’irai pas jusqu’à me comparer à Dieu, même dans l’univers restreint que je m’impose. Pour moi l’écriture est un mystère, et je n’arrive pas à donner de définition claire, car je tombe dans le paradoxe. Certains disent : écrire c’est s’évader. Et moi non, c’est plutôt me retrouver. Mais c’est toutes ces contradictions qui font que la littérature est belle. Donc je n’aime pas donner de définition précise, parce que d’un bouquin à l’autre on peut complètement changer de vue, d’angle de vision par rapport à ce qu’on écrit.

Le jeu, vous le retrouvez en écrivant ?

On passe des moments compliqués, on travaille sur une demi-page pendant trois ou quatre jours, et on se dit que c’est mauvais. Des remises en question, de l’incertitude. Ça arrive tout le temps. Malgré cela, ça reste un jeu. Je ne vis pas de mon écriture, donc autant y aller avec plaisir.

On peut dire que vous n’êtes pas très tendre avec vos personnages, ils subissent des épreuves difficiles. Malgré tout, votre roman contient un grand message d’espoir. C’est une morale qui vous plaît, que malgré tout ce qui peut nous arriver, il y a toujours une lumière au bout du tunnel ?

Je voulais absolument finir ce roman par une note positive, car les personnages sont tourmentés. On parle du deuil, on confronte deux personnages qui vivent des deuils compliqués, l’un depuis un an, l’autre depuis trente ans. Qui va sauver l’autre ? Et finalement ce n’est ni l’un ni l’autre, mais la poésie. C’est ce message que je voulais amener, je voulais terminer par une note positive. Cependant, dans mon prochain roman, où je parle à nouveau du métier d’écrire. Là, il n’y aura pas d’échappatoire, les personnages vont sombrer. Je suis contradictoire quand j’écris. Si dans Le Cri des mouettes, on partait de l’ombre pour se retrouver dans la lumière, ici ce sera l’inverse.

Votre roman est aussi une histoire de duos.

Dans ces rapports, je voulais explorer le silence. Je suis fasciné par ceux qui arrivent à retranscrire le silence. Hemingway et Steinbeck le font à merveille. Et tous les non-dits, qui font des ravages dans les relations. J’avais envie d’amener ça, dans les rapports notamment entre le narrateur et son père, qui ont passé toute leurs vies à ne pas se parler.  

Vous rendez un bel hommage à Hemingway.

J’ai adoré Le Vieil Homme et la Mer, Les Neiges du Kilimandjaro. Lui et Steinbeck. Quand j’étais à l’hôpital, j’avais un recueil de nouvelles de Steinbeck et je l’ai adoré.  

La poésie occupe une place centrale dans Le Cri des mouettes. On peut s’en sortir grâce à la poésie ?

Je pourrai vous donner deux réponses. Dans le roman, le vieux poète dit que la poésie n’a jamais aidé les gens à aller mieux. Par contre, à la fin, le narrateur dit que ce même vieil homme lui a sauvé la vie grâce à son recueil de poèmes. En moi, j’ai ces deux réponses. Mes écrits ne vont sauver personne, c’est sûr. Mais il y a des poètes, comme Raymond Carver… Ça me parle tellement que je me dis que je peux changer ma vision des choses grâce à la poésie. Rentrer dans quelque chose de plus personnel. Pouvoir se débarrasser de certains regrets, de certaines peines. Et je pense que la poésie peut prétendre à ça. Dernièrement, j’ai eu des courriers de gens qui ont lu Le Cri des mouettes, de gens qui ont connu le deuil. C’est une grosse responsabilité d’écrire, quand on a des retours comme ça.

Dernière question, concernant le titre. Comment vous est-il venu ?

Le Cri des mouettes… C’est venu instantanément. Dès les premières pages, c’était évident. Voilà, c’est venu comme ça. Et je suis fier qu’on ne l’ait pas changé. Car c’est un fil conducteur du roman, avec ces oiseaux qu’on retrouve à Neuchâtel, mais également dans le sud de l’Italie. C’est un pont entre ces deux endroits. Et quoi de plus beau que des ailes ?  

Conversation dérobée avec le poète Pierre-André Milhit

On sait que tu es un adepte des contraintes poétiques et pour ce recueil, Législation dérobade, on a tout à fait compris que tu t’es amusé avec les structures de loi, est-ce que tu peux nous parler un peu de cette structure ?

Alors la genèse, c’était écrire une loi avec un peu la systématique des lois, mais avec mon appréciation poétique. Dans l’écriture d’une loi il y a une logique, il y a des préambules, des machins, des trucs etc., jusqu’aux derniers articles qui sont transitoires parce qu’il faut modifier la loi. Donc il y a une certaine logique et je voulais essayer d’avoir cette logique-là.

Et puis à cela est venue assez naturellement s’ajouter, parce que c’est quelque chose dont j’avais envie depuis très longtemps, justement cette structure de texte que j’avais lue chez Aragon et chez Léo Ferré, où il y a un premier texte, puis après chaque phrase devient la première phrase des textes suivants. Et en cours d’écriture après –  il y a sauf erreur 14 tableaux – je me suis dit qu’il fallait utiliser aussi la dernière phrase pour qu’elle devienne la conclusion, d’ailleurs c’est la seule partie intitulée « B », les autres c’est « A ».

Et puis en écrivant j’ai eu la vision de la tour de Babel, c’est-à-dire le premier texte c’est le socle, et puis après chaque phrase donne un truc comme ça. Le dernier texte, les phrases n’ont pas de sens l’une avec l’autre, c’est là où je dis que c’est une photographie vue du dessus, et on voit tout ce qui n’est pas terminé, tout ce qui n’est pas… voilà…, le dernier texte B si tu le lis comme ça sans tout le reste, ouais c’est de la poésie brute des surréalistes (rires), voilà. Donc la construction elle est venue en cours d’écriture, mais l’idée de cette contrainte, c’est quelque chose qui m’intéressait au niveau de la construction poétique.

Est-ce que tu avais écrit les articles avant et tu les as intégrés au poème ou au fur et à mesure, comment ça s’est fait ?

Ça s’est fait en cours d’écriture. J’avais l’intention de faire une loi qui traite du pouvoir, donc les premiers articles c’est « qui est le chef », puis on doit s’agenouiller devant le chef, puis après ça dérape un peu parce que le chef va être mangé par l’amante de la fille du chef. Et puis après, j’ai eu l’impression aussi en écrivant les textes, que la libellule et d’autres ont envie d’intervenir dans cette loi. Et puisqu’on a créé la loi et que le chef a été mangé, n’importe qui peut participer à la création de la loi.

C’est aussi un texte qui a été écrit sur plusieurs mois. Il s’est passé des choses et plus ça avançait, plus je me disais : c’est la nature qui va dicter sa loi. Et le dernier article dit en gros « il est illusoire d’interdire à la montagne de retourner à la mer ». Voilà. Donc on peut faire toutes les lois qu’on veut, la nature va décider pour nous.

D’ailleurs tu parles de la libellule moi je me suis demandé pourquoi la libellule ?

Dans la poésie de Milhit, il y a toujours plein d’animaux. Et pour moi c’est évident que les animaux pensent et font des choses, comme nous, comme l’être humain, et à la limite les arbres aussi, tout le monde participe à avoir une intention.

Et la libellule c’est un très très bel animal, c’est très très beau, c’est un insecte qui me fascine depuis longtemps parce qu’il y en a tout un tas de très différentes, et il y a des choses avec le corps qui est turquoise, il y en a des rouges, il y en a des vertes, mais il y en a des petites turquoises et quand elles s’accouplent ça fait un cœur, accrochées à un roseau… Et à part ça, la libellule vit trois quatre ans comme larve au fond de l’eau, elle bouffe plein de saloperies et puis quand elle sort de l’eau elle vit, je sais pas, un été ou quelques semaineset en plus c’est très utile parce que ça bouffe plein de moustiques.

J’ai l’impression qu’en fait Législation dérobade c’est un cri de désabusement, enfin en tout cas j’ai senti beaucoup de rancœur, d’amertume, d’ironie ou de cynisme, et je me demandais s’il y avait encore de l’espoir et, si oui, de l’espoir en quoi ?

Il y a pour moi l’idée de l’âge, mon âge, je suis plutôt vers la fin, mais je suis dans l’état de la libellule, je suis juste dans le dernier moment où je peux voler (rires). La situation de la planète, la situation de la personne humaine qui est broyée par toute l’économie, par des lois qui disent que c’est interdit que…, qu’il faut que…, etc., donc l’avenir n’est pas très reluisant. Et puis en même temps c’est là depuis toujours, l’humain sur terre, c’est un petit bout, et c’est chaque fois des accidents, des catastrophes, des trucs comme ça qui font qu’on peut évoluer ou pas. Les survivants vont devoir s’adapter.

Alors c’est vrai que c’est un peu cynique. J’aime bien le mot « cynisme » plutôt que « désespéré », parce que finalement c’est pas moi qui vais décider ce qui est de l’espoir, ce sont les évènements, la vie qui va s’adapter ou pas. Les espèces qui disparaissent c’est une grosse perte, peut-être que ça va mettre en péril la personne humaine, mais il y aura toujours une vie, je crois que le soleil a encore 4 milliards d’années comme ça et puis après ça va s’éteindre donc voilà, mais je suis pas sûr d’être là ce jour-là parce que j’ai piscine (rires).

Donc, mon appréciation d’une situation un peu catastrophique finalement elle est pas importante. Je la dis parce que je la vis comme ça. Ce qui revient à comment ça a été écrit. J’ai commencé à écrire avec cette intention d’écrire une loi, et puis forcément cette loi s’inscrit dans la nature parce que je vis avec, je suis pas un citadin, je suis pas un bucolique, mais tout ce qui est dans la nature ça m’inspire, c’est l’image de ce qu’on vit nous. Et puis, j’ai commencé à écrire ce texte et après m’est tombé dessus un autre projet d’écriture qui était plus urgent, c’est Lettres aux gisants et pendant une année et demie j’ai écrit Lettres aux gisants et j’ai repris Législation dérobade, et puis après il y a eu, entre autres, cette pandémie qui est arrivée, donc on sent dans les textes vers la fin qu’il y a des interdictions, il y a des obligations, des trucs comme ça.

Est-ce qu’on peut déceler dans ton recueil une vision un peu absurde de l’existence, cette idée que rien n’a de sens ?

Un petit peu car la littérature, et notamment le théâtre de l’absurde, ça m’intéresse beaucoup, le langage est complètement en décalage. Donc il y a ce côté-là, et puis il y a le côté de « ce que je pense moi et ce que je dis moi, ça n’a pas beaucoup d’importance : je dis parce que j’ai envie de dire, j’écris parce que j’ai envie d’écrire. Je propose quelque chose, chacun prend ce qu’il veut ! ». Je n’ai pas d’explication à donner car je déteste les gens qui m’expliquent… J’ai à dire ce que je vois et puis si ça te parle tant mieux, et si ça te parle pas tu me diras comment tu vois le monde.

Mais il n’y a pas du désespoir, ça ne dit pas que c’est foutu ; autrement j’arrête d’écrire. Mais c’est que la situation n’est pas terrible et que je fais confiance à l’humain de manière général, à l’élan humain, pour sortir d’une situation de catastrophe.

Et as-tu déjà en tête l’idée de ton prochain recueil ?

C’est compliqué, parce que j’ai toujours plein de projets et, depuis hier que je suis à Soleure, j’ai déjà eu trois nouveaux projets d’écriture, donc il y a une sorte d’émulation ! (rires). J’ai plein de projets, mais après quand il faut les mettre en application c’est plus compliqué, alors certains projets ne restent même pas dans les tiroirs, ils disparaissent… Et puis la vie évolue, ce qui devient urgent et essentiel maintenant le sera peut-être moins dans une semaine. Alors il faut faire des choix et il y a quelque chose d’important pour moi et qui me prend la tête quand j’y réfléchis : j’ai l’âge que j’ai, à quel moment la cervelle va s’effriter, à quel moment je ne serai plus capable de faire une phrase ? Il faut que j’écrive maintenant.

D’un autre côté, je me pose la question : quelle légitimité j’ai d’aller bousiller des forêts pour faire du papier pour publier des poèmes ? Et en même temps j’ai envie (je ne dirai pas que c’est un besoin mais ça fait partie de mon ADN, de mon identité) d’écrire donc tant que c’est possible, je veux écrire ! Actuellement, je travaille sur deux projets d’écriture : il y en a un pour lequel je viens de trouver la première piste et je suis très content ! Ça va me demander six mois d’écriture.  

Puisque je travaille sur des concepts, quand je commence mon projet, je sais qu’il est carré avec le début, la fin et la structure : ensuite je peux laisser aller ce qui vient. Mais je sais que la difficulté, en écrivant de la poésie, c’est que ça parte dans tous les sens. Donc je me suis dit à un moment donné qu’il fallait que je fasse un concept et une structure pour qu’ensuite ça me permette d’aller où je veux et de faire ainsi des choses concrètes qui ont abouti à un livre.

Donc c’est important pour toi d’avoir toujours une contrainte pour écrire ?

Oui, mais ça fait partie de moi. Ça s’inscrit un peu naturellement pour pouvoir me cadrer sinon je pourrais partir dans tous les sens. En plus, pour l’écriture, c’est intéressant car tu peux aller explorer le plus loin possible la contrainte précise.

Libre cours à ta voix : sur quel sujet qui te tient à cœur aimerais-tu prendre la parole ?

L’écriture ça doit rester en premier lieu un jeu et un plaisir. On a des textes qui existent depuis longtemps, qui nous expliquent comment on doit vivre, il y a des textes magnifiques qui nous accompagnent, moi je n’ai pas d’ambition d’aller sauver le monde et expliquer aux gens ce qu’ils doivent faire.

Donc ça doit rester un jeu, un plaisir, mais avec du sérieux. Ça doit être construit, ça ne doit pas être de l’usurpation de dire : « moi je sais écrire, alors j’écris et vous vous consommez, merde ».

A notre tour de nous prêter à un jeu poétique : si tu étais un vers de ton recueil Législation dérobade, lequel serais-tu ?

Je pense à un passage dans le recueil où je cherche des issues pour savoir comment ça va se passer et en fait je crois beaucoup à la révolte des mots. Je suis le fils d’un paysan qui a participé aux révoltes des abricots de 1953, mon père était très actif là-dedans et j’ai été conçu à cette époque-là, alors peut-être que c’est resté (rires). Je pense que le salut de toute l’humanité va se faire par une réaction du peuple pour dire NON. Alors il y a l’article dix-neuf du recueil qui m’est tombé dessus :

les allumettes sont des armes de destructions massives
la cervelle des gens est une surface abrasive

C’est par l’imaginaire, par le cerveau et les idées des gens qu’on va pouvoir gratter l’allumette et foutre le feu !

Si vous souhaitez à votre tour rencontrer l’auteur, rendez-vous à Mase samedi 4 juin à 11h pour le vernissage de sa nouvelle publication Lettres aux gisants.

Et pour retrouver l’ensemble de ses publications :
Pierre-André Milhit – Littérature, Écrivain, Poète – Sion (culturevalais.ch)

Historische Dokumente und das essayistische Ich

Die Kaffeemaschine rauscht, Gläser klappern. Barbara Helbling erzählt im Interview mit Sabina Ribaudo von einem geheimnisvollen schwarzen Heft und gibt uns einen Einblick in die Entstehung ihres neuen Buches.

Wie kamen Sie zur Idee und zu den Dokumenten in Ihrem neusten Buch Meine Schwiegermutter, der Mondmann und ich?

Am Anfang stand sicher der Fund dieses schwarzen Notizbuches. Damit beginnt auch die Geschichte im Buch. Es ist ein erstaunliches Dokument, das meiner Schwiegermutter eine Stimme gibt; eine sehr persönliche Stimme, die ich so von ihr nicht kannte. Dieser Fund war sehr toll und ich wusste, dass ich etwas damit machen möchte. Schnell war klar, dass ich ihre Stimme erhalten und nicht fiktionalisieren möchte. Trotzdem bleibt es ein interpretativer Akt, den ich gemacht habe, ohne weiter darauf einzugehen. Das Gegengewicht ist, dass man seine eigene Geschichte dagegen stellt in Form der Erzählerin, die mir im essayistischen Sinn durchaus nahe ist. Ich zitiere da gerne Cynthia Ozick, eine amerikanische Schriftstellerin und Essyistin.  Sie sagt, das essayistische Ich sei dem eigenen Ich näher als das Ich in Romanen, und trotzdem bin ich es nicht.

Und die anderen Figuren?

Das Interessante war, wie sich in dem Moment, als die Stimme der Schwiegermutter und irgendwann auch die Stimme meines Vorfahrs, der auch der Vorfahr der Erzählerin ist, eingearbeitet waren, sich Fragen ergeben haben. Woran wird in den Dokumenten eigentlich erinnert? Was war bei den Aufzeichnungen bedacht worden? Ich fand diese Ansichten meiner Schwiegermutter als Achtzehnjährige extrem spannend, auch wie diese in der Zeit stehen geblieben sind.

Sie verwenden noch ein zweites Dokument…

Der Vorfahr schreibt an seinen vierjährigen Sohn zu einer Zeit, in der er arbeitsbedingt wenig in der Familie präsent sein kann. Er hatte jedoch auch eine enge Beziehung zu seinen Töchtern und am Schluss des Dokuments heisst es auch, es sei eine Erinnerung für seine Kinder. Er erzählt sehr offen, auch Freizügiges. Darum auch die Frage, ob er bei den Aufzeichnungen wirklich an seine Kinder und deren Belehrung dachte, wie er anfänglich schreibt.

Die beiden Dokumente finden sich erkennbar in Originaltönen im Buch wieder. Helbling wechselt in raschen Schnitten von einer Figur zur andern und lässt und lässt die Lesenden an der Entstehung der Liebesgeschichten über drei Generationen teilhaben. 

Préparatifs de non-mariage avec Boutheyna Bouslama

Fabrice : Tu as reçu le Prix de Soleure pour À la recherche de l’homme à la caméra (2019) en 2020 lors des Journées du film de Soleure. On t’invite une nouvelle fois à Soleure aujourd’hui, mais aux Journées littéraires cette fois-ci pour y présenter ton ouvrage Livres perdus, Nouvelles Chaussures. Quelle émotion est-ce que ça suscite chez toi de revenir ici deux ans plus tard ?

Boutheyna Bouslama : Gagner le prix Soleure en 2020 était une des plus belles choses qui me soient arrivées. C’était un projet long et fastidieux. Comme l’a dit Churchill, ça s’est fait dans le sang, les larmes et la transpiration. Et 2019, le film sort : première mondiale, bam premier prix du film suisse à Visions du Réel. C’était une surprise parce que c’est un film qui passait difficilement en festival ou sur les plateformes. Presque par miracle, le film est resélectionné pour Soleure et là, re-bam : Prix de Soleure. J’ai passé cinq ans de ma vie sur ce projet de film, durant lesquels les producteurs m’ont souvent dit : « c’est de la merde », ils ont utilisé ce mot. Donc Soleure en 2020, c’était un sentiment de rêve, d’accomplissement et de joie. Alors en 2022, déjà, on réactive toutes ces émotions. De plus qu’en tant qu’artiste plasticienne, c’est une couche en plus d’être récompensée par le cinéma. Je suis passée un peu de manière capillaire de l’art visuel au cinéma, et dans cette porosité continue, je passe cette fois par la littérature. Je trouve que c’est une reconnaissance de la possibilité de naviguer dans plusieurs médiums des arts visuels.

Ton livre est un recueil de lettres, écrites entre 2010 et 2019, adressées principalement à ta maman et ton papa. Comme ces lettres sont publiées sans réponse de leurs destinataires, je me demandais si tu avais posté ces lettres ?

Pour comprendre le système, il faut revenir à la naissance de ces lettres. Le livre est né en 2009 quand j’étais en train de passer mon Master. C’était la première volée de Master en art visuel de Suisse romande, on essuyait les planchers. On nous demandait d’écrire une thèse de Master théorique, ce que j’ai refusé. J’ai décidé de remplir les exigences du contrat, de rendre le nombre de pages, de mobiliser la théorie, mais pas dans le format que l’on me demandait. Il fallait du texte qui parle de théorie alors j’ai eu l’idée de ces lettres à mes parents qui sont des académiciens. Ils ont des bibliothèques assez importantes qui peuvent m’aider à aborder les lignes théoriques mais en noyant le tout dans un récit dont je refusais qu’il soit théorique. Ces lettres étaient juste des outils de rébellion étudiante et mes parents ne le savaient pas. Il y a toute une part fictionnelle, mes parents ne sont pas séparés. Ce travail que j’avais appelé histoires de famille commençait par dire qu’il s’agissait d’une fiction inspirée de faits et de personnages réels. La bibliothèque existe bel et bien, mais elle n’a pas disparu à cause de la séparation de mes parents. Mes parents n’ont pas lu ces lettres jusqu’à la sortie du livre en 2021, où ma maman en a acheté nonante exemplaires ! Elle les a offert un peu partout autour d’elle, c’était pendant le COVID 19, on était séparées, chacune d’un côté du globe. Est-ce qu’on peut dire que c’est Art & Fiction qui a mis le timbre et posté ces lettres ?

C’est une belle manière de le dire. Je suis surpris, je ne pensais pas qu’il s’agissait d’une fiction.

Alors la séparation des parents est une fiction. Il me fallait une accroche scénaristique pour point de départ. Malheureusement, tout ce qui vient après est cent pour cent vrai ; que ce soit les histoires de mariage de mineurs, les marques de machette sur la gorge. Tout ça, malheureusement, c’est vrai.

Est-ce qu’on peut dire qu’il y a une visée cathartique derrière ces lettres?

J’aurais bien aimé, ça aurait coûté beaucoup moins cher qu’une psychothérapie. Mais la part cathartique n’est pas aussi efficace qu’on voudrait. Ça reste un dispositif artistique. Les lettres ont permis de poser les grandes lignes, comme les lignes de séparation de couloir dans un bassin. Ce système de lettres sert à aiguiller les lecteurs ou orienter une pièce, plus qu’à réaliser une catharsis. Un tout petit peu, ça y contribue, mais ce n’est pas aussi facile.

Cependant, la finalisation du livre, elle, a été un processus de catharsis parce que c’est arrivé dans un moment très difficile, en 2021. J’étais sous couvre-feu en Turquie, isolée. Je vivais le deuil de mon compagnon. Les conditions de production étaient très particulières pour moi et pour l’équipe de production. On a travaillé par écrans interposés, avec des fichiers de correction en ligne. C’était très fastidieux mais pour moi, c’était le moment de récréation de la semaine. J’attendais avec impatience chaque réunion car c’était la seule chose qui donnait un sens au fait de se lever ce jour-là. Une lumière qui me guidait quand je ne trouvais plus vraiment de sens à ma vie.

Peut-être l’écriture des lettres n’était pas cathartique mais la finalisation du livre à donné un sens à une vie où j’ai perdu et les gens, et mes revenus. Tous mes projets avaient été annulés, j’avais plus rien. Mais il y avait ce livre qui se finissait. On était au-delà de la catharsis, c’était le sérum !

En première partie de ton livre, on trouve des lettres datées de 2010, alors que la deuxième partie comprend principalement des lettres datées de 2019 ; j’ai eu l’impression d’un dialogue entre ces deux séries de lettres. À la lumière de ces lettres, comment décrirais-tu ce toi fraichement diplômée de la HEAD à Genève en comparaison au toi de 2019, à Istanbul, au moment de sortir ton film deux fois récompensé, À la recherche de l’Homme à la caméra ? Autrement dit, quelles sont les zones de friction que tu perçois entre ces deux séries de lettres dont émanent les fragments de deux périodes bien différentes de ta vie ?

C’est la friction normale entre rêve et réalité. Il y a des choses qui sont très difficiles. Quand on le met comme ça « diplômée de la HEAD », et bam, « film deux fois récompensé », c’est joli. Mais il y a dix ans entre les deux et ces dix ans sont remplis de réalités.

Je vais t’expliquer comment est né le projet et, indirectement, ça devrait répondre à ta question. En 2019, je viens de gagner Visions du Réel. Stéphane Fretz me dit : je veux publier Histoires de famille. Là je me dis : « yes, on va enfin publier pour de bon ». Deuxième réaction : « ah merde, ben moi je ne veux pas publier Histoires de famille, c’est dans le passé, la personne qui a écrit ça n’est plus moi et c’est très dur d’être confrontée à ces rêves qui se sont fracassés la gueule ». C’est comme quand on regarde des vieilles photos de soi. Moi, j’ai bientôt quarante ans et quand je vois les photos des années nonante, alors que j’étais ado, je me dis oulala. Et j’ai la même réaction en relisant ces textes. J’ai réfléchi, je ne voulais pas publier uniquement ces textes-là, je voulais y ajouter leurs réponses. J’ai vraiment eu des poussées d’urticaire en me relisant mais il fallait bien que je trouve les éléments qui me paraissaient nécessaires de rafraîchir pour leur donner une réponse.

C’était un moment dans ma vie, pas seulement en tant qu’auteur mais en tant que personne et en tant que femme. C’est très rare de faire un update au bout de dix ans. Il faut se relire et se dire : « alors, qu’est-ce qui s’est passé par rapport à ci, alors que tu rêvais de ça ? ». Moi je parlais d’art mais en fait, l’art c’est le plus simple. Ce qui est dur, c’est d’exister administrativement, économiquement ou socialement. Moi j’avais des problèmes de papier et d’argent mais il y en a qui ont des problèmes d’enfant, de famille… On existe avec tout ça. L’art n’est pas ce qu’il y a de plus compliqué, puisque ça émane de nous.

Une fois que j’avais écrit ces réponses, j’étais d’accord de mettre au monde ces jumeaux. Mais la première partie, à chaque fois qu’il y a des lectures, je trouve toujours des subterfuges pour la faire lire par quelqu’un d’autre. Je ne peux pas la lire. La première fois, on a fait une roulette russe.

Livres perdus, nouvelles chaussures : on sent bien que le titre de ton livre n’est pas choisi au hasard puisqu’on y parle souvent de chaussures et peut-être encore plus souvent de littérature. J’ai trouvé ce recueil intéressant en tant qu’objet déjà, car s’il comporte des lettres, il comprend aussi de nombreux livres : tout d’abord, ceux dont les couvertures ont été photographiées, tout comme tes étagères à chaussures, mais aussi les nombreuses références que tu cites. De plus, le livre est un propos récurrent dans tes lettres ; tu questionnes souvent tes parents quant au sort de la bibliothèque de famille disparue, puis retrouvée. Ce livre me semble être le symbole de cette bibliothèque de famille, vu qu’il renferme lui-même les livres, est-ce le cas ? ou alors le symbole d’une étagère à chaussures ?

Je trouve très joli que tu y vois le symbole d’une bibliothèque familiale. Et non c’est pas une étagère à chaussures. Pour en avoir fait plein toute seule, c’est compliqué. Et il faut bien avouer qu’une chaussure est une chaussure, ça reste une godasse. Même Freud a dit : « parfois un cigare est un cigare », cependant un livre est un espace pour contenir la poésie d’une bibliothèque et son patrimoine. Même si la chaussure ça reste un objet qui porte beaucoup d’émotion. Alors que la bibliothèque, ça transcende les générations, et la chaussure aussi… mais le livre porte le patrimoine et l’identité, il encapsule ça mieux que la chaussure.

Je crois savoir que tu es d’origine tunisienne, née en France et que tu as vécu en Syrie, au Qatar, en Suisse et aujourd’hui à Istanbul. On perçoit ce trait « nomade », si j’ose dire, notamment à travers ta culture littéraire ou ta manière d’aborder des questions sociétales par le biais d’un spectre qui témoigne des différences de réalité dans le monde. Est-ce que tu pourrais nous décrire les principales sections, non pas de ta bibliothèque de famille, mais de ta propre bibliothèque imaginaire, c’est-à-dire en tant que bagage culturel ?

Ma bibliothèque n’est pas imaginaire, elle existe. J’ai une superbe bibliothèque dont je suis fière mais je ne l’ai pas vue depuis huit ans, parce qu’elle est dans les caves de mes potes à Genève. Donc je la décrirais comme cet amour de jeunesse dont je ne me souviens pas vraiment du visage mais que je sais avoir aimé beaucoup et que j’aimerai toujours, mais sans me souvenir même de la couleur de ses yeux. Je sais qu’il y avait une épaisse section de livres d’artiste, une petite partie de livres d’artiste plus théoriques accumulés durant les années d’étude et beaucoup de livres en arabe, que ce soit les essais, les romans, la poésie, même la poésie concrète en arabe, c’est très rare mais ça existe. C’est ce dont je me souviens. C’est drôle de vivre sans sa bibliothèque en fait.

Tu m’as parlé tout à l’heure d’une installation que vous avez mise en place à l’occasion des journées littéraires, de quoi s’agit-il exactement ?

J’ai organisé un système de textes dans l’espace urbain. C’est une manière de contribuer à sortir l’art du domaine de l’élite. L’accès est encore trop restreint pour les familles nombreuses ou les étudiants qui ont peu de moyens. J’ai pensé au projet de texte urbain pour Soleure car je suis déjà venue, il y a ici plusieurs baies vitrées qu’on peut utiliser. L’avantage est qu’il soit visible de jour comme de nuit. Il y a un peu de texte à lire directement et des QR-codes. Si le spectateur veut en lire plus, il peut scanner les codes. On peut voir cette installation sur les vitrines du Büro des Journées littéraires de Soleure depuis une semaine.

Dans ton livre, il est souvent question de mariage, ou plutôt de non-mariage en ce qui te concerne. J’ai souris en recevant le carton d’invitation à ta performance de demain qui ressemble fort à un carton de mariage. Aussi, dans ton livre, tu dis : « je ne garde jamais un bel article pour un jour spécial ou pour quand les choses iront mieux. Chaque jour et chaque outfit sont une occasion spéciale car en fait… Merde, quoi ». À croire que cette invitation aux Journées de Soleure mérite, elle aussi, son outfit ?

C’est un carton de mariage ! Hier, je suis arrivée en robe pailletée. On est au cœur d’une communauté intellectuelle où, à force de paraître sobre, on véhicule l’idée que la sobriété est une assise pour l’intelligence. On a certains codes et des fois, ces codes-là m’emmerdent. Alors quand je suis légitime de le faire, j’aime bien casser les codes. Demain, ce sera la tenue ultime de célébration.

[Performance : samedi 16h, Landhaus Säulenhalle]

Crédit photo : Linda Malzacher

Engagé, humaniste et optimiste lucide: Blaise Ndala

Blaise Ndala se trouve à Soleure pour présenter son dernier livre, Dans le ventre du Congo, paru au Seuil en 2021. Après une discussion et une lecture publique rythmée, interpellante et très intéressante, il nous livre dans une interview ses pensées autour de l’histoire de Tshala, princesse bakuba exhibée dans le zoo humain de Bruxelles en 1958, et Nyota, sa nièce en quête de vérité. Extraits.

Comment est-ce que vous avez trouvé le bon angle pour construire ce roman, principalement avec les personnages de Nyota et de Tshala ?

Au départ, ce que je voulais, c’était trouver un personnage central, idéalement féminin, qui soit au cœur du dernier zoo humain belge du 20e siècle, celui de 1958. J’ai donc créé le personnage de la princesse Tshala, qui est la tante de Nyota, qui à l’époque coloniale suit le parcours qu’on connaît, se sauve de la capitale du royaume dans le Kasaï, vient à Léopoldville dans des conditions assez difficiles et qui finit par un jeu qu’on attribue à l’ami de son amant, Mark de Groof, dans ce zoo. À partir de là, j’avais l’idée de faire rechercher ses traces par un autre personnage […] ; avoir un deuxième personnage qui viendrait rechercher les traces de celle qui était disparue c’était une manière un peu de m’imaginer la quête ou la recherche, l’exhumation de ce passé que je n’avais pas réussi à réaliser depuis le Congo, tout ça m’a sauté à la figure grâce aux découvertes que j’ai faites en arrivant en Belgique.

Est-ce que c’était important que les deux personnages principaux soient des femmes ?

C’était important que ce soit des femmes, parce que je m’étais rendu compte, comme beaucoup d’ailleurs, que dans l’histoire du Congo, qu’elle soit ancienne ou moderne, dans la manière dont elle est narrée, dans la manière dont elle est écrite, les femmes ont très peu de place. Je prendrai l’exemple de ceux que l’on célèbre comme étant « les pères de l’indépendance du Congo » : on ne parle pas des mères de l’indépendance du Congo, et c’est la même expression pour toute l’Afrique. Et Dieu sait que depuis l’histoire ancienne, la lutte pour l’émancipation congolaise est souvent passée par les femmes de pouvoir, de caractère, qui avaient du charisme, du leadership, qui étaient des personnalités marquantes [Blaise Ndala cite alors Kimpa Vita, Maman Muilu ou Pauline Opago] . Et là je ne parle même pas de toutes les reines, de toutes les impératrices, de toutes les grandes cheffes qui ont été à la tête de beaucoup de monarchies du Congo ancien. Alors une manière, à très modeste échelle, pour moi, de leur rendre hommage, était de montrer qu’aujourd’hui encore dans la lutte que les Congolais mènent sur différents plans, y compris pour une vraie démocratie, […] dans les mouvements qui revendiquent qu’on revisite l’histoire coloniale du Congo, pour demander des comptes sur la période coloniale, quand on regarde les visages, ce sont souvent des visages féminins. Mettre des femmes au cœur de ce roman était donc une manière de rendre un hommage littéraire à toutes ces femmes connues et méconnues qui méritent qu’on se souvienne d’elles, parce que l’histoire s’est faite aussi avec elles et grâce à elles.

Vous disiez que vous ne vouliez pas juger ces différentes formes de pouvoir. Mais lorsqu’on parle du colonialisme dans une œuvre littéraire, comment faire pour ne pas tomber dans le piège du jugement du passé ?

Je pense que le roman, qui pour moi est le lieu de la rencontre, de la complexité, le lieu de la nuance, rend possible ce genre de distance, parce que s’agissant du projet colonial et des horreurs qu’il a générées, y a-t-il lieu d’en rajouter ? Je ne pense pas. Quand on aborde un roman comme celui-là, pour mettre en avant des faits comme ceux-là, je crois que les faits sont suffisamment diseurs, clairs, accablants pour qu’avec un tant soit peu de bonne foi on ne veuille pas en rajouter. […] Si je rends la rencontre possible avec le lecteur dans ce que j’appelle la pacification de la mémoire, pour qu’on fasse une rétrospective, un inventaire de ce qui a été fait, de ce qui a été dit, alors je n’ai pas besoin d’être dans la vindicte. J’ai besoin d’être dans la vérité historique pour que chacun en tire les leçons qu’il peut en tirer. J’ai besoin de montrer en quoi ce passé-là douloureux, avec ce qu’il a charrié, continue à influencer notre vie, à modeler notre pensée et à expliquer certaines politiques qui sont menées et certains comportements que nous observons aujourd’hui. Et si j’amène cela à ce moment-là, le projet est que nous puissions nous rencontrer avec mes lecteurs. Et comme je suis un humaniste à la base, je ne suis pas dans un règlement de compte. Mais cela étant dit, je ne suis pas non plus dans la complaisance, je n’édulcore rien, je montre simplement les faits tels qu’ils sont, hideux – leur mocheté. Mais je crois en l’intelligence de mon lecteur et de ma lectrice en disant : […] que chacun à sa manière puisse contribuer aux solutions collectives, dont personne individuellement n’a le secret, encore moins moi.

Vous diriez que c’est aussi un livre de transmission de la mémoire ?

C’est surtout un livre de transmission de mémoire. On le voit à travers deux personnages : à travers Nyota, qui vient recueillir à la tombe de sa défunte tante l’histoire qu’elle ne connaît pas, l’histoire aussi bien de sa monarchie, qu’elle n’a pas apprise à l’école, car on ne transmet pas ça à l’école, ça ne se transmet pas, aussi bien dans sa famille, ce que ses parents ne lui ont peut-être pas dit, que le pays n’a pas dit sur ces expositions. Donc sa tante restitue cette histoire-là pour qu’elle se l’approprie, un peu comme moi-même encore une fois, j’ai dû apprendre en arrivant en Belgique. Et puis il y a le personnage de Francis Dumont qui est professeur à l’ULB, qui a grandi en Belgique mais n’est pas de la génération de ceux qui ont fait l’expo, qui ont organisé le zoo humain, mais cette histoire lui appartient, il est dedans. […] Donc des deux côtés on voit que ce sont des romans de la retransmission, aussi bien au plan individuel – Tshala, Nyota et le roi des bakubas – que familial avec Robert Dumont, avec qui il y a eu cette rupture qui n’a pas rendu possible la retransmission de l’histoire au-delà de la famille. Pour toutes ces raisons-là, ça reste un roman de la transmission.

Vous vous considérez donc plus comme un auteur monde, international, plutôt que comme un auteur congolais ou africain ?

J’y ai justement consacré un article qui est sorti dans une revue québécoise il y a quelques jours. Je jette une sorte de suspicion sur cette question-là : cette manière de poser l’écrivain africain ou l’écrivain du monde pour moi relève d’un piège un peu sournois, parce que je suis les deux en fait. Mais je suis les deux comme exactement n’importe quel autre écrivain. L’écrivain suisse est d’abord un écrivain suisse, car il grandit d’abord avec les outils, le regard que sa terre, le milieu qui lui a appris à décrypter le monde. […] Donc dans ce sens-là, je suis effectivement un auteur africain. Mais je ne suis pas qu’un auteur africain, car l’autre particularité que j’ai est que j’habite au Canada, donc à ce que l’Afrique m’a apporté pour comprendre le monde s’est ajouté tout le bagage que j’ai reçu du fait de vivre au Canada depuis quinze ans et d’être passé par la Belgique. Un roman comme celui-ci porte d’une manière ou d’une autre différents regards, différents bagages cristallisés dans une identité fluide, composite, qui est la somme des expériences d’univers, de bagage culturel, de lieux où j’ai vécu – tout cela m’a tissé. Alors oui, je suis l’un et l’autre, mais je ne me vois pas prétendant que je ne suis qu’un écrivain du monde, comme si on pouvait comme ça être dans une sorte de nulle part, un lieu qui serait un monde sans horizon. On est d’abord de quelque part, et de ce quelque part le regard est coloré d’une certaine manière, une manière de dire le monde. Pour certains, comme moi, on est de plusieurs lieux à la fois : ces lieux finissent par nourrir notre personne, solidifier notre identité et nous donner peut-être un regard plus riche que ce que nous serions si nous étions restés que Congolais, qu’Africain, que Belge, etc.

En conclusion de votre livre, le roi bakuba pardonne à son visiteur belge et déclare que « la mémoire n’est pas un tribunal, c’est un antidote pour le futur », que l’important est que cette mémoire soit utilisée pour construire un monde meilleur. Est-ce que vous pensez qu’on va réussir à pacifier cette mémoire et à la transmettre ?

J’espère, je suis plutôt un optimiste, mais un optimiste lucide. Je constate, et ce sont surtout les jeunes qui me donnent foi, que c’est possible. Je ne dis pas que ça se fera, mais je pense que j’ai des raisons de croire que cela est possible. Je vois notamment ce qui est arrivé peu avant la sortie de ce livre, avec le mouvement Black Lives Matter, qui a eu un élan particulier après la mort de George Floyd, j’ai vu se mobiliser dans différents pays en Occident une jeunesse multi-ethnique, des Blancs, des Noirs, des Jaunes, des types de partout, dans un même élan, demander la fin du racisme, réclamant une manière autre d’aborder notre histoire, dans sa brutalité, et d’en tirer les conséquences. Ces voix-là me donnent espoir, quand je vois certaines initiatives et certaines actions, certes timides mais qui commencent à s’imposer ; je parlais entre autres de la reconnaissance par le roi des Belges des crimes contre le Congo. Il y a vingt ans, quand j’arrivais en Belgique, si on m’avait dit qu’un roi belge dirait cela, je ne l’aurais pas cru, j’aurais rigolé. Ça ne résout pas tout, mais je pense qu’il y a une pression, une demande sociale qui vient surtout des jeunes qui est telle que oui, on commence à prendre une direction qui me donne des signes d’espoir. Mais, pour utiliser une expression que beaucoup n’aiment pas aujourd’hui, il faut rester woke, il faut rester éveillé. Ça veut dire continuer à être exigeant pour qu’on ne rebrousse pas chemin, qu’on ne remette pas sous le tapis ce qu’on y a laissé trop longtemps, parce qu’autrement le prochain réveil sera beaucoup plus difficile, ou peut-être catastrophique. Comme disait James Baldwin : la prochaine fois, le feu. Est-ce que nous allons attendre que la prochaine fois on se consume tous, ou bien nous allons continuer à tirer sur le fil que nous tenons ensemble, en disant : « plus jamais ça, c’est maintenant que nous allons réparer ces injustices, que nous allons faire face à notre histoire, en tirer les leçons possibles et bâtir ensemble un futur qui soit à la hauteur des idéaux que nous disons défendre ? »

Tier, Tod und Teufel zu Gast im Uferbau

Erst nachdem Moderator Matto Kämpf einen Harass Bier auf die Bühne getragen hatte, konnte der letzte Event am Freitagabend starten: Absolute Finsternis und das Intro von Iron Maidens «The number of The Beast» empfingen das Publikum zu später Stunde – und sofort fühlten sich alle in den 70ern Geborenen in ihre Kindheit zurückversetzt: Gisela Feuz liess Guns ‘n Roses in den improvisierten Disco-Bunkern der Jugendzentren wiederaufleben und Gion Mathias Cavelty erste heimliche Klänge von Black Sabbath auf dem Plattenspieler der erzkatholischen Eltern. Alle fanden wir früher oder später zum Heavy Metal – und verabschiedeten uns zumeist wieder von ihm. Bis er uns heute Abend wieder einholte: Wenn Cavelty mit den Brüdern Petz und Kusi Lugenbühl an Drums und Gitarre zu Judas Priest röhrte oder die rasenden Riffs der legendären Slayer durch den Saal mähten, wiegte manch einer wehmütig den Kopf mit dem schütter gewordenen Haar oder reckte leicht verschämt die gehörnte Hand in die Luft. Weils doch damals so schrecklich schön war.

Aber die vier Gäste brachten nicht nur Musik, Erinnerungen und Hörschäden mit, sondern auch mehr oder weniger poetische Texte aus Metal-Liedern. Dabei überzeugten Feuz’ berndeutsche Version des Iron Maiden-Klassikers «ds nummero vom tier», die den eindringlichen Bildern der biblischen Apokalypse eine beinahe liebevolle Note verpasste, und das absurd schräge «Nonagon» von Car Bomb, vorgetragen von Mirjam Lenz, das mit seinen geometrischen Weisheiten selbst den schlagfertigen Matto Kämpf sprachlos machte, beide durch die Intensität ihrer Metaphern. Die beiden Männer in der Runde dagegen wählten Texte, die strotzten vor Brutalität, was natürlich zum Konzept des Genres gehört, aber sowohl Cavelty als auch Roland Reichen dazu nötigte, mit viel Charme, Witz und ausführlicher Einbettung vom Textinhalt abzulenken, der sonst schwer zu ertragen gewesen wäre: Wenn Slayer in «Angel of Death» die abscheulichen Experimente des KZ-Folterarztes Mengele skizziert oder in «Abigail» von Kind Diamond ein tot geborenes Mädchen mit sieben silbernen Nägel an den Sarg genagelt wird, ist das nur mit ironischer Distanz verkraftbar. Und genau das machte die lockere Gesprächsrunde hervorragend: Gerade weil Cavelty der Runde angeblich vorgängig verboten hatte, sich über sein Lieblingsgenre lustig zu machen, blieb diese Metaebene omnipräsent, sodass auch nach blutdrünstigsten Texten der Weg ins bierselige Kino im Uferbau schnell wieder gefunden war. 

Solche Ambivalenzen wohnen der Metal-Szene seit jeher inne. Eine davon formulierte Gisela Feuz als gewagte These: Hat nicht die Präsenz der christlichen Lehre bis heute stark mit ihrer unzertrennlichen Verbundenheit mit der Metal-Szene zu tun, die antithetisch immer wieder auf sie verweist? Darüber liesse sich nachdenken. Aber erst wenn Iron Maiden, Slayer und Judas Priest verklungen sind.

Blick in drei Storyboards

Morgen wissen wir mehr. Die drei Bilderbücher sind für den Schweizer Kinder- und Jugendbuchpreis nominiert: Johanna Schaible, Walid Serageldine und Laura D’Arcangelo öffnen ihre Storyboards und lassen den vollen Kinosaal am Entstehungsprozess ihrer Bücher teilhaben.

Ein Sternenhimmel leuchtet vorne im Saal auf. Es ist ein Bild aus Es war einmal und wird noch lange sein von Schaible. Ihr Buch führt mit grossen Seiten, die immer etwas kleiner werden, von der weit entfernten Vergangenheit in die Gegenwart. Nun werden die Seiten wieder grösser und führen uns in die Zukunft. So nimmt die Grösse der Buchseite die zeitliche Distanz auf. Unten am Rand findet sich ein weisser Streifen mit jeweils einer Aussage, die das Bild mit den Lesenden verbindet. «Vor einem Monat war Herbst», lesen wir und fragen uns sofort, ob dem so war. Man tritt in einen Dialog mit dem Buch, welches den Kindern von gestern und den Erwachsenen von morgen gewidmet ist. Praktisch ist der weisse Streifen für die Übersetzungen in bisher neun Sprachen. Der Text kann leicht ersetzt werden.

Von wenig Text zum Silentbook, einem Buch ohne Text, ist es nicht weit. Elefanten und der bünzlige Nashornnachbar tragen in Serageldines Le Voisin ihre nachbarschaftlichen Streitereien aus. Der Falz in der Mitte des Buches bildet die Grenze der Gärten. Man wird Zeuge, wie Grillrauch oder Wasser aus dem Gartenschlauch die Seite wechseln. Auch hier spielt der Inhalt mit der Form. 

Der Austausch unter jungen Illustrierenden ist für alle drei wichtig und findet im «Boloclub» statt. Gegründet wurde dieser im Hinblick auf die Bilderbuchmesse 2019 in Bologna, unter anderen war D’Arcangelo mit dabei.

Sie malt ihre Figuren in Herr Bert und Alfonso jagen den Dieb mit Couache. Die Farbe nimmt sie in dieser Dedektivgeschichte oft pur aus der Flasche, so umgeht sie das Mischen und die Farben sind immer gleich. Schon ihr Storyboard pinselt sie immer farbig, während Serageldines seines schwarz-weiss skizziert. Erst in einem zweiten Schritt malt er die Figuren mit Acrylfarben, digitalisiert sie und ordnet diese mit Fotoshop auf den Seiten an. Collageartig malt auch Schaible. Sie aquarelliert ihre Figuren, schneidet sie aus und klebt sie dann in die Szene.

Die drei Bilderbücher bekommen schon bei der kurzen Vorstellung viel Applaus. Wie Moderatorin Katja Alves meint: «Den Preis morgen hättet ihr alle verdient!» So bleiben wir gespannt, wer morgen auserkoren wird!

Carte Blanche: Reto Hänny macht, was er will – Er liest aus «Sturz»

Beitrag von Lara Buchli und Severin Lanfranconi

Der Moderator Rico Valär führt humorvoll durch das Gespräch. So unterstellt er gleich zu Beginn Reto Hänny drei Obsessionen: Interpunktion, Fliegen und das Wieder- und Überschreiben seiner Trilogie Ruch, Flug und Sturz. Tatsächlich, ohne Punkt und am liebsten auch ohne Komma: Reto Hänny spricht, wie er schreibt, in einem fort. Die Lesung und das Gespräch sind kurzweilig und in wunderbarem Bündnerhochdeutsch. Der Grand Prix Literatur 2022 für das Lebenswerk, diesen Preis nahm Reto Hänny am vergangenen Mittwoch in Empfang.

Für Hänny sind alle Geschichten auserzählt, also hat er irgendwann beschlossen, nur noch eine einzige zu erzählen, und diese begleitet ihn schon sein Leben lang: Vom Bergbauernjungen, der beflügelt von den Sagen, die sein Grossvater ihm erzählte, hinaus in die Welt fliegt. Schon die dritte Neuauflage ist es seit dem erstmaligen Erscheinen 1984, heute unter dem Titel Sturz. Das dritte Buch vom Flug.

Die Obsession der Interpunktion bei Hänny entspringt seiner Experimentierfreude mit Sprach-Rhythmus, Melodie und Phrasierung. Wenn man sich so intensiv mit diesen Aspekten befasst, scheint sich der Punkt von alleine zu erübrigen: Denn laut Hänny ersetzen die Atembögen den Punkt. Seine Bandwurmsätze sind legendär und mit den vielen intertextuellen Bezügen eines sehr belesenen Autors wirken sie für das Publikum manchmal auch etwas überfordernd. Valär nennt den Stil treffenderweise: «Explosionsartig intertextuell und intermedial».

Hänny beschliesst seine Lesung mit dem Ende seines Romans über das Flugfieber, das noch beim Lesen zum fiebrigen Fliegerflug für die Ohren wird. Hier räblets nochmals gewaltig mit Verweisen auf Philosophen wie Adorno, auf Komponisten wie Wagner, Schubert und Anton Webern, auf Heine und und und. Für einen Moment wirkt der abstürzende Fliegercockpit wie eine musikphilosophische Denkstube. Ob das aber wirklich dem Fieberwahn geschuldet ist?