Parlons d’humour – avec Alice Bottarelli

Après le joli succès rencontré par son premier roman Les Quatre Sœurs Berger, aux éditions de l’Aire, Alice Bottarelli publie un très amusant second récit intitulé Ombeline & Rodogune (Presses Inverses). Dans l’arrière-salle bondée du restaurant Kreuz, rencontre avec une autrice à l’humour tout à la fois joyeux et grinçant.

Alice Bottarelli, à votre lecture, j’ai constaté avoir parfois ri en lisant de la littérature, sans pour autant attendre de l’humour une quelconque signification. Ai-je eu tort ?

Est-ce vraiment un tort ? Les productions littéraires qui font le plus recours à l’humour passent souvent inaperçues que ce soit dans les œuvres de celles et ceux qui les ont écrites ou par le simple fait d’appartenir à des genres plus marginaux ou moins canoniques.
Mais pour rebondir sur la signification, il est intéressant de se rappeler que l’étymologie de humour nous ramène à la théorie des humeurs que nous devons originellement à Hippocrate et Galien. De la désignation d’une constitution physique, le terme s’est transformé dans la langue anglaise pour caractériser un tempérament blagueur. Ce sens a été repris en français et cela a donné naissance à l’humour, dans son acception actuelle.
Selon certaines définitions, l’humour dispose d’une grande force de cohésion et favorise l’avènement d’une culture commune, on rit de l’autre comme on rit de soi. Dans le récit, l’humour est un bon moyen d’apporter de la joie dans un doute existentiel. Peut-être pouvons-nous aussi y voir une forme de maïeutique, soit faire recours à l’humour pour accoucher d’idées. En cela, il représente un mécanisme dynamique de traitement du doute. Et quand le doute persiste et arbore une forme de gravité, recourir à l’humour présente aussi une dimension éthique permettant de préserver sa santé intellectuelle.

Et dans votre pratique littéraire, est-ce que toutes ces considérations interviennent au moment de penser un texte ? Attribuez-vous, par exemple, une certaine fonction à l’humour, attendez-vous un quelconque rendement de celui-ci ?

Je ne le dirais pas ainsi. Lorsque j’écris, je ne tente pas consciemment de mettre sur pied des mécanismes destinés à faire rire. Sans que cela signifie que le texte naisse d’une traite (Ombeline & Rodogune s’est construit au coup par coup sur quelques années), les traits d’humour qui s’y donnent surgissent spontanément au moment de l’écriture. Il n’y a pas de préméditation. C’est là que nous pouvons faire une relation avec l’étymologie du mot humour et son lien originel avec le corps. L’humour, je le perçois comme une vague qui vient de l’intérieur et prend soudainement forme dans le texte. Je ne me dis pas au départ « Tiens, je vais écrire un texte drôle », mais s’il est finalement perçu ainsi, alors j’en suis satisfaite, c’est réussi !

Je voudrais revenir sur cette évocation de la gravité. Il me semble que dans Ombeline & Rodogune, l’humour est intimement lié au traitement d’un thème sérieux. Je vois là une belle exemplification de votre propos.

Oui, il y a une certaine gravité dans le propos d’Ombeline & Rodogune. Laisser place à l’humour dans un récit ne signifie pas, pour une autrice, avoir toujours l’esprit à rire ! L’humour a la force de sublimer certaines des réalités avec lesquelles nous sommes aux prises et il constitue un exutoire également. Cette tension entre le sérieux ou la gravité et l’humour est bien perceptible dans l’opposition entre dysphorie et euphorie. Les deux tendances semblent intimement liées et fonctionner main dans la main, et cela ne manquera pas de couper court à l’ennui !
Mais se saisir de l’humour dans un texte peut aussi être un moyen de prendre du recul sur soi en tant qu’autrice, notamment au moment d’empoigner des thèmes sérieux. C’est parfois une manière habile, face au dramatique de situations complexes, de relativiser le poids de son propos ou de ses considérations dans une attitude d’humilité. Dans d’autres circonstances, l’humour a quelque chose d’éminemment jouissif et consiste incontestablement en une forme de provocation.

À votre lecture, j’ai eu l’impression que cette gravité relève d’un certain fatalisme. Je l’ai perçu dans la relation du couple que forment Ombeline et Rodogune, le fait que leur histoire d’amour est précaire. En outre, si chacun des personnages semble avoir pu bénéficier de la présence de l’autre un assez court instant, tou·te·s deux paraissent inexorablement devoir revenir d’où iels sont venu·e·s. Y a-t-il une morale à cette histoire ?

Expliciter une « morale » me semblerait trop didactique. Je peux bien supposer que certains éléments du récit fassent penser à la fable ou au conte et que dans bien des esprits ceux-ci se concluent généralement autour d’une morale. Ombeline & Rodogune se distingue des contes par de nombreux aspects liés à l’intrigue. Sans vouloir trop la dévoiler, disons surtout que celle-ci raconte de bout en bout l’histoire d’une vie, celle de Rodogune, et de la fluidité des événements dont elle est traversée. À mon sens, ce fil de vie ne saurait être ponctué d’une morale. Mais est-ce bien à l’autrice de préciser la morale supposément véhiculée par son texte ?

Peut-être pas et il n’est pas rare que des contes se concluent autour d’une morale qui demeure bien obscure ! Selon ce que nous disions du rapport entre l’humour et une certaine gravité, j’ai du mal à croire que votre propos soit complètement gratuit. En fin de roman, intervient une actualisation surprenante qui relie des temps antédiluviens avec un monde de mécanique de précision (nous n’en dirons pas plus). Parler au passé, n’est-ce pas parler du présent voire du futur aussi ?

En effet, le texte n’est pas gratuit au sens d’être dénué d’une certaine vision du monde plus générale – qui dépasse la seule relation qu’entretiennent Ombeline et Rodogune, d’ailleurs. En cela, il présente assurément une certaine dimension politique au sens large qui relève du vivre ensemble. Pour en revenir aux personnages, Ombeline, par exemple, est incontestablement une figure féminine forte et très indépendante. Ce caractère marque profondément l’intrigue, le récit est imprégné par cette liberté. D’ailleurs sa relation avec Rodogune est sujette à de nombreuses interprétations !

En guise de conclusion, si on a pris le goût de rire en lisant au contact d’Ombeline & Rodogune, quelles autres lectures pouvez-vous nous conseiller ? Quels textes vous ont-ils fait rire ?

À chaud, j’aurais envie de citer quelques auteurs et autrices romand·e·s. Je pense à Benoziglio, en particulier à son uchronie Louis Capet, suite et fin qui raconte l’exil de Louis XVI (il échappe à la guillotine) à Saint-Saphorin en région lémanique. Et pour poursuivre dans la veine lacustre, je mentionnerais aussi Le feu au lac, une perle aussi subtile que potache du même auteur. J’aime également beaucoup l’œuvre complexe de Catherine Colomb qui est empreinte d’une étrange ironie, vraiment inédite. Je citerais encore Grisélidis Réal – par exemple, son Carnet de bal d’une courtisane – pour son énergie, sa gouaille provocante, la pulsion de vie !

Schreiben Sie einen Kommentar

Ihre E-Mail-Adresse wird nicht veröffentlicht. Erforderliche Felder sind mit * markiert