Dans la frontière errante, bref recueil de poésies. Une reliure blanche, sensuelle, cousue au fil, donne envie d’explorer les poèmes dans les marges des pages blanches. Une dédicace définit l’opuscule comme un «livre d’heures», ces anciens livres de prières enluminés, comme une invitation à prendre le temps d’une lecture méditative.
Trois autres citations en exergue nous ramènent à l’origine de la lumière et de la nuit. Elles sont suivies par le premier court poème, un Rêve composé de six vers de six syllabes. Les nombres ne seront pas anodins dans le recueil. Comme dans le livre de la Genèse, des animaux sont nommés, le «ramier» ou le «renard», que l’on imagine aussi en marge des manuscrits médiévaux. L’autre poème liminaire, Le Désordre des heures, introduit des vers libres et annonce une «cordillère» de «lignes», image inversée, pour les vers poétiques, de celle des sillons que les paysans creusaient dans leurs champs.
L’imaginaire biblique et médiéval s’élargit ensuite à d’autres mythologies, dans Signe indien, ou maya, pour signifier la destruction proche du monde («un grand serpent s’apprête à gober la terre»). Mythologie plus explicitement nordique dans le poème A la source du temps, qui convoque le «grand arbre» Yggdrasill ou le sage Mímir, ou encore mythologie tsigane, avec les fées de Kechali, qui jouent le rôle des Parques tissant le destin des hommes. Interrogé par Pierre Fankhauser, l’auteur explique à l’intimité de son public soleurois que son projet initial était de produire un «recueil de légendes», mais que ce fonds s’est dissous dans un travail plus large dont il ne faut plus forcément chercher à identifier les sources. La poésie ne se veut pas hermétique, ou alors hermétiquement ouverte. L’unité thématique du recueil est donnée par l’exploration des frontières, des «rivages» ou des «rives», que le poète aime à placer dans des jeux phoniques avec les «rêves». Une expression somme toute assez héraclitéenne, qui cherche le sens dans les marges, au-delà des opposés, comme dans cet extrait de L’Or des Naufrages :
Tu déchireras les voiles de la nef
Tu défricheras la terre et le ciel
Tu marchanderas un peu d’amour contre un peu de pluie fine
Tu vivras d’un feu bref
Une autre fois il fera noir quand tu hisseras l’Étoile
au sommet de ta perte
Alors
il n’y aura plus de nuit il n’y aura plus de jour
A Soleure, le poète explique que son travail vise la fidélité, la loyauté à une intuition première, à une voix interne, parfois plus ancienne que soi, loin du brouhaha du monde. La recherche poétique apparaît ici avant tout dans les sonorités, la précision des images et des rythmes, sur les traces d’un Gustave Roud que l’auteur admire, mais aussi dans la conscience rimbaldienne que le monde ne peut jamais vraiment être dit («la vraie vie est absente»). Première publication du jeune auteur neuchâtelois, pour nous la découverte d’un petit joyau d’enluminures.