Rencontre avec Maylis de Kerangal

Après un long trajet en train et de multiples retards, je débouche enfin sur la verdoyante plaine soleuroise. Ce doux vallonnement laisse bientôt place à l’Aare qui m’entraîne vers la petite ville ensoleillée où les badauds trempent leurs pieds dans le courant, une bière à la main. Le centre est calme, la circulation réduite au minimum et les terrasses ombragées sont nombreuses. Le béton se transforme en pavé et bientôt en gravier. J’arrive au Solheure où Maylis de Kerangal se restaure. Comme la suite de ma journée le confirmera, l’écrivaine a fait un bon choix culinaire ; la nourriture y est simple mais bonne.

Maylis de Kerangal se présente avec modestie et m’accorde un entretien malgré un emploi du temps chargé : dans 40 minutes, elle doit faire sa lecture devant une salle attentive. Notre échange est bref mais très instructif, car de sa voix douce elle me parle de son livre avec conviction. Sa conception du monde se reflète dans Un monde à portée de main, roman d’apprentissage qui concerne une jeune femme peintre. Maylis de Kerangal me parle du mérite de l’expérience première, de la sensation immédiate, de ce moyen d’accès prioritaire au monde qui nous entoure et où le sens n’est pas toujours à découvrir. Souvent il se donne tel quel, simplement. C’est cet intérêt pour le concret dans nos vies qui se retrouve dans le parcours de la protagoniste, car la jeune faussaire prend les matières à pleines mains pour reconstituer des trompe-l’œil saisissants et revient ainsi aux bases de l’acte créateur.

Le temps file, l’entrevue se poursuit et la terrasse ne se désemplit pas mais l’écrivaine doit partir et m’accorde une ultime question avant de s’éclipser. J’ai gardé la meilleure question pour la fin : pourquoi ce style d’écriture si particulier qui mélange descriptions et dialogues ? À sa base, une volonté de décloisonner l’oral de l’écrit, de les traiter comme un seul écosystème ; refus de la mise en scène artificielle d’une oralité qui n’existe pas dans notre vie, car l’interaction constante entre description et oral contribue à donner une signification aux scènes et aux personnages.

 

Marie Maury