À Soleure, des rescapés ?

Dépossédée de ses bagages après un transit malheureux, Rinny Gremaud échoue à Edmonton, comme « une rescapée » écrit-elle. Pourquoi avoir choisi cette ville américaine comme première escale à son tour du monde ? (tour dont il faut préciser le but : parcourir les malls de notre société de consommation, ces nouveaux temples de béton et de verre, reproduits en série, où se concentrent partout les mêmes franchises). En fait, c’est dans cette ville de l’Alberta que se situe le plus vieux de ces mégacentres commerciaux, grand comme 68 terrains de football.

Ce mot, « rescapé » revient à deux fois dans l’extrait que nous lit Rinny Gremaud. Elle ne le dit pas, mais l’histoire de ce terme n’est pas sans lien avec ce monde dont elle parle et qu’elle accuse, le nôtre, « qui se rétrécit par son uniformisation » : il apparaît dans la presse dans les premières années du 20ème siècle, lorsque la catastrophe minière de Courrières fait plus d’un millier de victimes dans le nord de la France. Ce sont donc ceux qui s’en sont sortis qui sont les premiers rescapés des ravages de l’industrialisation.

Rinny Gremaud déconstruit ensuite le voyage et ses raisons. On ne voyagerait plus pour se confronter à une altérité : dans un monde globalisé où l’information est à portée de clics, toutes ces images de l’inconnu, on les a déjà rencontrées. Le voyage consisterait plutôt pour elle en un moyen de « disparaître ». Rescapée à la faveur d’une disparition ? Serait-ce que cet éloignement spatial lui permettrait au moins de s’éloigner de l’œil du cyclone où elle vit au quotidien ?

Prendre cette distance et réaliser la difficulté toujours plus grande de se projeter physiquement dans un ailleurs qui s’abîme irrémédiablement, c’est prendre conscience à quel point l’on a été délestés de nos bagages et livrés nus à des structures urbanistiques qui cachent de moins en moins une ordonnance régie par les lois économiques. C’est être conscient, au moins un instant, de son statut de rescapé, avant de replonger dans l’œil du monstre. Combien de rescapés dans cette foule venue écouter Rinny Gremaud ?

Il restera néanmoins toujours ces thuriféraires du développement économique, à la vue étroite, défendant qu’on ne meurt plus dans les mines, grâce au progrès, aujourd’hui. – « Chez nous, vous dites ? »

 

Jonas Widmer

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