Si pitié de nous pauvres avez

Ce soir, le Chaux-de-Fonnier Thomas Sandoz a reçu, à Soleure, un prix décerné par la Commission intercantonale de littérature des cantons de Berne et du Jura pour son roman La balade des perdus qui, sans aucun rapport avec la célèbre Ballade des pendus de François Villon, se déroule dans les Alpes.

On y suit Luc et trois autres adolescents aux handicaps divers, conduits par l’éducatrice Julia à travers un road trip cahoteux dans l’adversité. Sixième protagoniste protéiforme, l’altérité est représentée par les diverses personnes rencontrées par les vadrouilleurs, après l’endommagement de leur minibus, durant une rentrée d’excursion précipitée.

Sous le prétexte d’avoir oublié ses jambières orthopédiques, Luc, qui a provoqué depuis un forum une véritable crise politique, oblige cette équipée inhabituelle à rechercher le soutien des autres pour retrouver le chemin de l’institution où sa mère l’a abandonné, ainsi que des preuves qui le lient à cette crise.

On peut être touché par la réticence, voire l’hostilité des gens sollicités par Julia pour leurs venir en aide ; mais, devant les situations occasionnées par ces rencontres incongrues, ces gens font ce qu’ils peuvent. Difficile en effet de gérer les réactions aussi imprévisibles qu’embarrassantes des adolescents. Julia elle-même, face au merdier de sa propre vie, selon les termes de Thomas Sandoz, éprouve de grandes difficultés à supporter ses protégés.

Sous le regard aiguisé de Luc, dont l’esprit tient bien mieux que les jambes, on rit aux frasques de Goon – qui ne retire pas son casque audio pour donner des coups – ou de Bierrot – enfant satyre et collectionneur de cailloux ; on souffre avec Pauline qui, atteinte d’une maladie dégénérative et écrasée par ce qui se passe, est consciente de la finitude de son existence, prisonnière d’un corps qui ne répond plus.

Traverser ce roman où un invalide voit partout des incitations au dépassement de soi soulève nombre de questions qui débordent le roman et auxquelles l’auteur a très aimablement accepté de répondre.

Partout, des discours de solidarité mystificateurs se heurtent au culte généralisé de la performance. Il faut être le meilleur, gagner – et donc défaire l’autre ; la compétition prend le pas sur son objet. Découlent de ces discours délétères et de ces injonctions tacites à la réussite des leitmotivs culpabilisants qui stipulent qu’il suffit de croire en ses rêves pour les réaliser.

Dans ce contexte, où le vent charrie-t-il les déclassés de nos sociétés ? Il les bloque chez eux, répond simplement Thomas Sandoz. C’est enfermés dans des schémas négatifs causés par cet état de fait que de jeunes êtres, pourtant valides, courent au gâchis.

Admirer ceux qui font tout ce qu’ils peuvent plutôt que ceux qui font tout ce qu’ils veulent, préférer une forme saine de solidarité à l’individualisme jusqu’au-boutiste, voilà un espoir qui ressort d’un entretien avec un frère humain rencontré à Soleure.

 

Baptiste Colombara

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