À la rencontre d’un récit haut en couleur

L’une coiffée d’un voile et l’autre d’une coupe mulet, Anisa Alrefaei Roomieh et Maeva Rubli siègent aux côtés de la modératrice Judith Schifferle dans l’ambiance feutrée du Kino im Uferbau, entre deux spots à la lumière violette. Une mise en contexte est nécessaire pour comprendre la naissance du projet commun aux deux femmes de Delémont. C’est ici qu’Anisa et sa famille arrivent après avoir fui la guerre en Syrie. Là-bas, elle était professeure d’arabe, langue que Maeva souhaite justement apprendre. Les rencontres passent rapidement des cours d’arabe à des échanges de propos plus existentiels. Anisa est auteure et Maeva, auteure-illustratrice. Les échanges prennent la forme de discussions enregistrées et de poèmes, matière servant de point de départ au projet de publication.

Face à face parait aux Éditions Moderne en 2021. Une première lecture est faite par Anisa en arabe, sa langue d’écriture. Le silence se fait poignant lorsque lui montent les larmes, la gorge se noue et le public frémit. La gravité du propos n’a pas besoin d’être expliquée. Puis Maeva traduit ; ce n’est pas la mort mais la naissance d’un enfant, Marya. Une naissance que l’on pleure, mais pas de larmes de joie. La plaie ouverte des horreurs de la guerre est soudainement palpable. On saisit alors le rapport d’intimité qui lie les deux femmes.

Le récit est celui d’Anisa. Son périple depuis la Syrie, l’abandon des objets qui racontent les jours heureux, l’abandon de son identité. Mais le récit est aussi le symbole d’un possible retour de la parole après la guerre. Et c’est notamment avec le soutien de Maeva que la voix d’Anisa a pu se libérer. C’est là une réalité qu’il faut rappeler : la notion de liberté d’expression ne se comprend pas de la même manière qu’on soit en Suisse ou en Syrie. Le livre apporte beaucoup de réponses, mais il nous prouve surtout qu’on a beaucoup de questions, comme le note Judith Schifferle. Face à face est le récit d’une déchirure identitaire dont les tenants sont la Syrie et la Suisse, qu’Anisa appréhende respectivement comme sa mère et sa mère adoptive.

La poésie visuelle des illustrations est haute en couleur, plus qu’on ne pourrait s’y attendre dans un récit sur la guerre. Mais ce n’est pas l’horreur que l’on veut dépeindre. Il y a évidemment le rouge, en d’énormes tâches ; c’est le sang mais c’est aussi l’amour, la naissance. Ce livre est une manifestation de la vie dans la mort et les couleurs sont nécessaires à rendre compte des émotions contrastés qui caractérisent cette réalité.

Anisa Alrefaei Roomieh et Maeva Rubli travaillent actuellement sur une adaptation visuo-texuelle de leur œuvre commune. L’installation sera visible à Delémont. On pourra y lire les poèmes et y contempler les peintures en grand format.

Schreiben Sie einen Kommentar

Ihre E-Mail-Adresse wird nicht veröffentlicht. Erforderliche Felder sind mit * markiert