Est-ce que tu brilles dans l’obscurité?

Simone Lappert est autrice de deux romans et marque sa présence aux Journées littéraires de Soleure avec son premier recueil de poèmes en allemand längst fällige verwilderung (retour longtemps attendu à l’état sauvage). Avant de commencer avec les questions, je veux me connecter avec l’autrice Simone Lappert. Pour cela, on fait un jeu de ping-pong : je commence par un mot, Simone me répond par le premier mot qui lui vient à l’esprit, je réagis à son mot et ainsi de suite. Finalement, on commence par communiquer non pas par des phrases, mais uniquement par des mots :

Poème, écrire, texte, lire, entendre, musique, saxophone, respiration, voir, horizon, mer, poisson, peur, lumière, lampe, mite, vole, peur.

Pourquoi tu écris en minuscules ? Est-ce le retour à l’état sauvage de l’écriture ? (Warum wird bei dir die kleinschreibung grossgeschrieben?)

J’aimerais donner le même poids à tous les mots et leur laisser la liberté de transgresser les catégories grammaticales. Et s’il y a peu de mots sur une page, chaque mot a plus de poids, donc je voulais donner la même chance à chaque mot et ne pas mettre en avant l’un ou l’autre.

Alors pourquoi tu notes la ponctuation ?

Le texte respire et cette respiration se traduit par la ponctuation. J’aimerais montrer aux lecteurices le rythme, le souffle et le battement de cœur que j’ai prévus pour la lecture de mes poèmes. Dans mes performances, le texte est pour moi un corps de sonorités (Klangkörper). Pour moi, n’importe quel texte – un roman, un essai, du théâtre – devient tridimensionnel par la lecture à haute voix.

Qu’est-ce qu’un « wortwild » pour toi ? (Le mot « wortwild » est un néologisme qui figure dans l’un de ses poèmes et peut être traduit dans l’explication de Simone par « motmurement » et dans mon interprétation par « métaféroce »)

Tu te réfères à un de mes poèmes qui s’intitule langschlaf (long sommeil). Dans ce contexte, c’est pour moi un murmure. J’adore quand les gens marmonnent dans l’état d’hypovigilance. Qu’est-ce qu’un « wortwild » pour toi ?

Pour moi, c’est le fait de pouvoir lâcher les mots à l’état brut. Les laisser en quelque sorte en liberté et ne pas les coincer dans les catégories comme tu l’as expliqué pour l’écriture en minuscules. Et leur donner avec cela la possibilité de se transformer et de signifier plusieurs choses en même temps.

Même si j’ai la perfectionniste qui se réveille de temps en temps en moi, j’essaye de laisser justement les mots à leur état sauvage (en wortwild). Et j’adore quand je termine un livre et que j’ai encore des questions.

Est-ce que ce sont les créations humaines qui retrouvent l’état sauvage ou est-ce le retour à l’état sauvage qui est une création humaine ? (Wird Mensch-gemachtes verwildert oder wird Verwilderung Menschen-gemacht?)

Le retour à l’état sauvage part du principe qu’avant ce n’était pas sauvage et que ça devient sauvage avec le temps. Si l’on parle d’un jardin qui devient sauvage, souvent c’est dans un sens négatif. Mais dans l’écriture, le retour à l’état sauvage est pour moi quelque chose de très positif. C’est rompre avec des structures, des codes fixes, pour laisser la place à l’ouverture, au sauvage. Et le deuxième sens de ta question: est-ce que le retour à l’état sauvage est une création humaine ? Je ne sais pas. Je pense que oui, dans le cas de l’art. L’art est une création humaine qui recherche le retour à l’état sauvage.

Dans ton recueil, tu as un poème qui se termine par une question : « comment arrive-t-on déjà au bout de l’hiver sans avenir ? » («wie kommt man noch gleich ohne zukunft durch den winter?») J’ai préparé trois réponses à cette question et tu peux choisir celle qui te convient le mieux ou en rajouter une.

  1. Avec perspective (mit Perspektive)
  2. Pas du tout (gar nicht)
  3. Par le présent (über die Gegenwart)

J’aimerais dire par le présent, mais cette option s’est perdue avec la crise du COVID. Moi je pense par l’écriture. En restant en mouvement et en s’exprimant.

Pour traduire la prochaine question je dois m’aider de l’anglais: Are you full with feeling or do you feel fullness? (Bist du gefüllt mit Gefühl oder fühlst du das Gefüll?). (Cette question peux être traduite en français par : Es-tu farcie de ressentis ou est-ce que tu ressens la farce ?)

Tu dis ça à cause du poème so viel gefüll ? J’étais inspirée par une carte de restaurant dans laquelle était écrit «gefühlte Aubergine» (aubergine ressentie) ou lieu de «gefüllte Auberine» (aubergine farcie) et de là je suis arrivée au «gefüll» au lieu du «gefühl». Et je pense que ces deux mots ont beaucoup à se dire.

De quoi rêves-tu ? Je fais référence au poème i have weird dreams with artichokes.

Les rêves dans mon sommeil vont trop loin. Mais dans mon état de veille je rêve d’un monde juste et égal.

Et la dernière question qui est inspirée de ton poème glühmotten (mites luisantes) je vais y répondre moi-même : est-ce que tu brilles dans l’obscurité ? (leuchtest du im dunkeln ?)

Oui.

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