Ouvrir la littérature au monde, avec Noémi Schaub

Noémi Schaub est autrice, coach littéraire, ancienne membre de l’AJAR (dont elle avait participé à la création), éditrice et co-directrice de Paulette Édition avec Guy Chevalley. Elle est invitée aux Journées littéraires de Soleure afin de participer à une table ronde ayant pour thème «Le rôle de l’auteur ou de l’autrice dans la société». En ce samedi, Noémi Schaub nous consacre un peu de son précieux temps, avant de se lancer dans la discussion intéressante qui l’attend.

En guise de teaser : quel est le rôle de l’auteur ou l’autrice dans la société, en quelques mots ?

Je crois que je n’ai pas tellement une approche théorique de la question mais plus quelque chose de pragmatique, dans les faits. Pour moi, le rôle de l’auteur n’est pas monolithique. Ce que j’essaie de faire, avec mon collègue Guy Chevalley, c’est justement de donner une place à l’écriture qui permette autant de faire vivre une expérience esthétique et littéraire au lectorat, que de lui amener peut-être des idées, des perceptions, des perspectives nouvelles. Du coup, pour moi, l’auteur, dans le meilleure des cas, c’est un mélange des deux. En tous cas, avec mon collègue, on défend beaucoup l’idée de travailler autant l’aspect esthétique des œuvres que leur contenu, et les deux vont ensemble en fait. Qu’il n’y ait pas de : ah oui mais le contenu est tellement fort donc on s’en fiche de la forme. On veut vraiment essayer de mettre les deux aspects en valeur. Parce que je pense que quand on lit un livre, la forme crée des émotions et que ces émotions permettent de mieux recevoir le contenu.

Si l’auteurice, joue un rôle dans la société, est-ce que la société joue un rôle sur l’écriture ? Est-ce qu’il y a besoin d’une base à l’écriture, que ce soit un évènement particulier ou autre ?

Je crois que oui. Et je sais qu’il y a beaucoup de débats ces temps-ci sur qui a le droit d’écrire quoi. Je ne suis pas pour une vision ra ! (avec un geste strict de la main). Enfin, ça part du texte pour informer les auteurs. Mais un texte qui parle de l’homosexualité qui ne peut être écrit que par un homosexuel : ça je pense qu’il faut le nuancer. Pour moi ce n’est pas une question de «droit» ou de «pas le droit», c’est une question «d’angle mort». La personne qui n’est pas concernée par ces enjeux là, même avec ses meilleures intentions, va avoir plein d’angles morts et finalement ne va pas nous donner, même en produisant un texte très réussi, ce que la littérature pourrait apporter : c’est-à-dire d’aller voir ces brèches et nous amener vers des endroits que l’on n’avait pas vus avant. Donc voilà, pour moi ce n’est pas une question d’intention ou de statut, c’est juste factuel : quand on n’a pas vécu les choses, il y a beaucoup d’angles morts. Alors bien sûr, avoir vécu les choses ou non c’est très vaste et très vague comme notion. […] Ceux ou celles qui écrivent un texte sur quelque chose qu’ils ou elles n’ont pas vécu, ce n’est pas qu’ils et elles n’ont pas le droit ou que c’est mauvais, c’est juste qu’il y a des choses qui manquent.

C’est peut-être une essence du texte qu’il faut amener au départ ?

Oui, ou alors comme vous disiez, est-ce qu’il faut un évènement ou quelque chose ? Je pense quand même que oui, l’expérience de la vie nous aide à trouver un certain regard sur les choses. Après, je ne suis pas du tout pour que la littérature ne soit que biographique. Mais on a vécu très longtemps dans une espèce de toute puissance des auteurs et de l’idée d’un génie qui – si on l’a – nous permet d’écrire tout ce qu’on veut. Mais ce n’est pas toujours très intéressant.

Vous qui êtes coach littéraire : est-ce qu’il faut une inspiration initiale à l’écriture, ou est-ce que l’on peut partir de rien pour créer un texte qui porte un sens ?

Comme je l’ai dit au début, je n’ai pas une vision théorique des choses mais plus empirique ou pragmatique. Du coup, quand je travaille avec des gens autour de leur texte […], je leur demande de me faire lire ce qu’ils et elles ont écrit et à partir de là, j’essaie de faire un état des lieux du chantier et d’aider les gens. Effectivement, ce qui est important pour moi quand je travaille avec quelqu’un, c’est de savoir pourquoi cette personne écrit, pourquoi elle écrit ça, et où est-ce qu’elle veut amener son texte. Donc ce n’est pas vraiment qu’il faut certains éléments, c’est juste qu’une fois que les choses sont posées, ça se voit très vite si la personne a juste voulu écrire ou si elle avait quelque chose à dire. Le travail de coach consiste beaucoup à enlever tout ce que la personne croyait qu’il fallait dire pour trouver ce qu’elle veut dire. Pour revenir à l’élément que j’ai dit avant […], je ne fais jamais un interrogatoire identitaire : oui mais tu l’as vraiment vécu ça ? Pas du tout, c’est juste que souvent, quand on creuse, quand on essaie d’approfondir le texte, on arrive très vite à voir s’il y a des angles morts ou pas. La personne qui a écrit réalise souvent qu’il faut s’en débarrasser.

Ces «angles morts», est-ce que je peux les comparer à l’idée de partir d’une chose de vécue pour plonger dans la fiction, comme une entrée en fiction ?

Tout à fait, je pense que c’est une affaire de conscience en fait. […] En prenant un exemple vécu sans savoir si c’est la bonne réponse : j’ai fait partie pendant 10 ans d’un collectif littéraire, l’AJAR, et on a écrit Vivre près des tilleuls, qui était le journal intime d’une femme qui a perdu son enfant. Un drame horrible alors qu’on était plus jeune à l’époque. La plupart d’entre nous n’avions pas d’enfant, mais on l’a écrit et je pense qu’effectivement il y a des angles morts. Mais il y a le miracle de la littérature et je pense qu’on a vraiment créé le personnage pendant des mois et des mois, on a vécu avec dans nos têtes donc il avait pris une existence un peu mystique. Ce n’était pas juste une prémisse littéraire ou un concept qu’on aurait posé, je pense que ça aide. Et ensuite, il y a l’évènement : perdre un enfant, qui vient toucher à des questions de la mort, de la finitude des choses, etc. Ce sont des choses dans lesquelles on peut se projeter et en l’occurrence, on a exploré ce qu’était l’écriture collective et d’avoir plusieurs subjectivités qui viennent amener des éléments et peut-être combler ces angles morts. Mais c’est vrai que juste avant de publier on se demandait: mais on est zinzins ? […] Après la publication on a fait des lectures et il y a des femmes dont c’était la vie qui sont venues nous voir en nous disant : ça fait des années que j’essaie d’écrire un livre là-dessus, vous avez écrit le livre que je voulais écrire. Et nous on se disait : oh my god (rires).

Est-ce que ça engage une culpabilité ou une fierté de se dire qu’on a réussi à écrire ce que d’autres avaient vécu ?

Sur le moment c’est en train de nous arriver donc on le rationalise en se disant : ah bah oui on a fait tout bien, on a fait tout juste, ç’en est la preuve. Après, avec les années qui passent et l’expérience, je nuancerais ça. […] Pour moi c’est moins grave de s’approprier un évènement, tout en disant très clairement que c’est de la fiction. […] Mais s’approprier un évènement fictionnel c’est différent que de s’approprier une identité. Ça ne pose pas les mêmes questions et là je crois qu’on était dans un cadre d’appropriation d’évènement et pour moi, les frontières sont plus floues puisque c’est précisément de la fiction.

Et c’est un évènement qui peut potentiellement arriver à plus d’une identité.

Exactement. Parce que là si on dit qu’on ne peut plus s’approprier des évènements bon bah… on tue une grande partie de la littérature.

Entre le collectif AJAR, votre métier d’éditrice et de coach littéraire, et vos publications dans des ouvrages collectifs, vous êtes habituée à travailler avec beaucoup de monde. Est-ce que ça démontre une certaine conception de l’écriture qui doit se faire à plusieurs et doit être discutée ?

Je pense que le fait d’écrire à plusieurs n’est pas pareil que, par exemple, coacher ou réaliser un travail éditorial. Dans le travail éditorial, il y a deux statuts différents. Il y a un statut créateur et un statut aiguilleur. Du coup, je suis toujours choquée d’apprendre qu’il y a des éditions qui ne font pas de travail éditorial, c’est un fait. […] Je dis toujours : le premier acte d’écriture est de l’art et le travail éditorial est de l’artisanat. […] Et je sais qu’il y a des personnes qui ont cette perception que l‹art c’est l’art, l’artisanat c’est l’artisanat et que si on fait de l’édition ou un travail éditorial sur un texte, quelque part c’est sale, c’est pour le rendre vendable, mainstream. Mais moi je ne crois pas du tout en ça. Enfin, j’ai l’impression que justement le rôle de l’éditrice est de faire le relais entre l’acte créatif et le public. Et aussi, justement, d’essayer de trouver ce qui est essentiel dans le texte et puis le reste on peut l’enlever, voilà. Tandis que la création collective c’est quelque chose de merveilleux qui peut générer des choses incroyables et, comme je le disais, réunir plusieurs subjectivités. Simplement, c’est très difficile parfois d’avoir une direction artistique, parce que justement si tout le monde amène plein d’idées et qu’il n’y a pas une sorte de hiérarchisation, on arrive devant ce que j’appelle un gloubi-boulga d’idées très bonnes mais qui ne devaient pas forcément être ensemble. Fort heureusement je crois qu’à l’AJAR, les projets qu’on a faits ont réussi à avoir une direction. Mais je ne dirais pas que c’est un principe en soit, il faut voir plusieurs étapes de création. Il y a le brainstorming qui est effectivement génial quand on est à plusieurs comparé à quand on est tout seul. Mais le «travail ensemble» est quand même très proche, il faut une humilité du texte, et l’AJAR m’a appris à avoir cette humilité du texte qui n’est rien d’autre qu’une matière. Oui, il y a quelque chose qui se passe quand on écrit et qui est très intime. Mais au final c’est juste de la matière. […]

Est-ce que c’est important pour vous de faire naître de nouveaux auteurs ou de nouvelles autrices, de leur permettre de créer ?

Dans la mesure où je n’ai pas prévu de faire d’enfants, oui (rires). Ah (soupir) c’est une très bonne question – parce que oui. Et, en même temps, à chaque fois que je vais à un salon du livre et que je vois le nombre d’auteurs je me dis : mais faut-il ? Il y a déjà assez et en même temps on voit très bien que même s’il y a déjà assez, ce n’est pas grave, car la littérature a toujours été un lieu de subversion. Les institutions culturelles nettement moins. Oui, il faut continuer à faire exister de nouvelles voix. Avec Paulette, ce qu’on essaie de faire dans la collection Grattaculs c’est vraiment, et non pas pour des questions de marketing ou de vente, d’aller chercher un nouveau public. Un public qui justement ne se sentirait pas d’aller aux Journées littéraires de Soleure, qui est un superbe festival, mais il faut quand même se sentir à l’aise de venir dans un endroit pareil. […] Avec Guy on fait bon teint aussi aux Journées littéraires de Soleure, mais on se demandait comment faire pour aller toucher un nouveau public et aller voir de nouveaux auteurs ou de nouvelles autrices, surtout queer qui, en voyant le public et les invités de Soleure, se diraient : jamais j’enverrai un texte dans une maison d’édition. C’est un monde qui peut faire très peur. […] Avec Guy on essaie d’aller voir des associations LGBTQIA+, d’aller sur place faire des rencontres avec le public, présenter ce qu’on fait. Et aussi beaucoup travailler avec Instagram, pour les mêmes raisons : trouver d’autres canaux, d’autres publics. Et également avec le magazine 360° qui est un super partenaire. Voilà c’est ça, changer le petit microcosme, qui est très micro.

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