L’art de traduire

J’ai eu le privilège d’interviewer Luzius Keller à l’ombre d’un arbre, assis sur un banc au bord de l’Aar. Luzius Keller est de langue maternelle allemande. Il a étudié les langues romanes à l’université. Dès son plus jeune âge il était en contact avec plusieurs langues, le romanche et l’italien notamment. Passionné par les langues, il choisit de s’orienter vers la littérature.

Luzius Keller arrive à la traduction à travers l’enseignement. Souvent il demande aux étudiants de traduire un texte avant de l’interpréter. Il faut rentrer en profondeur dans le texte, être précis, analyser la syntaxe et s’arrêter sur chaque mot et être sûr de les comprendre. Pour traduire, il ne faut pas se fier à sa seule compétence linguistique mais au contraire user et abuser du dictionnaire pour éviter tout malentendu, pour tout vérifier afin de saisir le plus correctement possible l’intention de l’auteur.

Nous discutons ensuite du processus de traduction. Il faut lire et relire, même lire à voix haute pour entendre la musicalité et le rythme du texte, que ce soit en poésie ou en prose. La traduction est avant tout un travail de lecture en profondeur du texte. Il est nécessaire de capter l’intention de l’auteur dans un premier temps avant de pouvoir s’attaquer à la traduction.

Nous abordons ensuite la traduction de Proust. Il y a de grandes difficultés de vocabulaire et de syntaxe. Les phrases sont très longues et commencent souvent par plusieurs subordonnées avant que la principale apparaisse. C’est une possibilité que la langue allemande n’offre pas. Il faut trouver des astuces pour respecter ce type de syntaxe. Chez Proust, la pointe, généralement un nom, est à la fin de la phrase. Dans les propositions en allemand, c’est le verbe qui est à la fin, il est donc très difficile de retranscrire exactement la même chose. Luzius Keller veut traduire tout en respectant la langue allemande et c’est un point qui lui tient à cœur. Il essaie de rendre au lecteur germanophone ce que le lecteur francophone ressent lors de sa lecture. C’est une impression générale qu’il faut faire ressentir, un tout.

Luzius Keller s’est intéressé à Proust un peu par hasard. Ce sont d’abord ses professeurs qui lui l’ont enseigné. Plus tard, il fait de même avec ses étudiants, il leur propose des exercices de traduction de Proust qu’il publie dans la NZZ. L’éditeur Suhrkamp lui demande de continuer ce projet et Luzius Keller s’attaque à cette entreprise de grande envergure. Il apprécie Proust mais n’aurait pas forcément voulu le rencontrer en personne. « Pourquoi le rencontrer ? » me demande-t-il. Le texte doit se suffire à lui-même, c’est de la littérature.

Luzius Keller me parle ensuite d’un recueil de Chappuis auquel il a participé en traduisant ses poèmes, qui ressemblent à des haïkus, en allemand. La forme est complexe à respecter car en allemand il est difficile d’être aussi bref qu’en français. Il y a donc un problème visuel qui s’ajoute pour le traducteur. Selon Keller l’œil lit aussi et le visuel est important, que ce soit en poésie ou en prose.

Je trouve son approche de la traduction fascinante car il s’intéresse réellement à la langue et non à  l’auteur. Il la traite avec beaucoup de soin et affirme que la traduction est bien plus qu’un simple texte traduit ; elle apporte une ouverture sur la façon de penser. Proust lui a ouvert les yeux sur des choses humaines et esthétiques. La psychologie proustienne est un vrai univers auquel on adhère ou pas, mais qui nous force à réfléchir.

Tobie Quartenoud

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