Ce que peut la littérature face à notre présent

Exploration du flux de Marina Skalova, c’est une grosse vague qui vient à la fois balayer l’actualité politique, sociale et littéraire. En traitant de la migration et de la manière dont les médias transmettent les informations, il ne s’agit pas uniquement d’interroger le présent mais également d’expérimenter l’«écrire maintenant» : comment user habilement du langage et questionner les mots que l’on met sur les événements lorsqu’on est soi-même soumis à ce réel ?

Une œuvre littéraire avant tout

Lorsqu’on demande à Marina Skalova si son texte possède une dimension pamphlétaire, elle nous répond que tout travail sur la langue se veut autant artistique que socio-culturel : «Bien sûr qu’il y a un point de vue à partir duquel j’écris», affirme-t-elle, mais c’est la forme qui sert au propos et non l’inverse. La forme tente de répondre à la question qu’elle pose, à introduire le trouble en mélangeant les voix, en laissant dériver les phrases jusque vers l’absurde. Le texte glisse, dérape et traduit le flux car «la vie est flux», elle est mouvement, écoulement et il faut tenter de lutter contre le tarissement, il faut empêcher que la verve s’assèche.

Pas seulement le langage, aussi le corps

Au-delà du flux médiatique ou migratoire, il y a avant tout le flux sanguin, première source de vie. Lorsqu’une artère se bouche, on peut soit constater l’obstacle, soit dévier la course. Avec les mots c’est pareil, on peut figer un sens, remobiliser toujours la même lecture des termes ou on peut réinventer un langage et montrer que l’on se sent concerné : (se) mettre des frontières, explique Marina Skalova, c’est en quelque sorte «signer un arrêt de mort». Les médias ont cette tendance à hiérarchiser les informations, à choisir la proximité comme critère d’intérêt et à évacuer les eaux qui ne nous concernent pas directement. Exploration du flux tente de remettre du corps dans les mots, de décristalliser le langage en appelant à l’empathie puisque la détresse de l’autre nous renvoie à nos propres limites : «La colère se transforme en paralysie». Lorsque la singularité se dissout, annihilée par l’afflux des propos sur les réseaux sociaux, par la langue, c’est le corps qui la fait resurgir et engendre une nécessité personnelle de dire.

Prendre la parole

Lorsqu’on aborde le rôle de l’art, de la littérature, c’est le mythe de l’intellectuel engagé, celui qui éveille les foules à la simple force de ses mots, qu’évoque l’auteure. On croit souvent – on veut y croire en tout cas – qu’il «suffit de prendre la parole» pour faire changer les choses mais ce n’est jamais aussi simple que ça. «Les mots ne seront jamais assez forts pour être à la hauteur de ce qui est en train de se passer aujourd’hui». La configuration du texte en deux parties prend tout son sens et reflète les différentes phases de création : l’une pour parler et pour renvoyer le lecteur à ses propres responsabilités, et l’autre – séparée par le silence et la prise de recul – pour constater «l’incapacité de poursuivre ce texte en raison de la violence de ce qui est arrivé, l’impuissance des mots».

Florine de Torrenté

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