Une vie en écriture: un entretien avec Anna Felder

Aujourd’hui j’ai pu avoir une conversation aimable avec Anna Felder et j’ai retrouvé la personne fine, profonde et sonore qu’on entend déjà dans son œuvre. Cette année, le Grand Prix Suisse de Littérature a couronné sa carrière littéraire commencée il y a presque cinquante ans avec Tra dove piove e non piove écrit en 1970. Son travail prolifique témoigne d’un travail cohérent et passionné sur la langue, qui marque chaque ligne de son œuvre. Chaque mot est choisi méticuleusement, pour éviter que la texture du récit ne soit pas secondaire par rapport à la narration (qui d’ailleurs ne fournit pas beaucoup d’action). Bien au contraire, elle est mise en premier plan et encourage une écoute attentive, empathique. A la question «Qu’est-ce que c’est la littérature pour vous aujourd’hui ?»,  Anna Felder répond que pour elle, écrire c’est surtout «donner du poids aux mots, à leur forme et non seulement au contenu ; il s’agit d’équilibrer ces deux côtés de la langue pour arriver à un sentiment, à un fait, à la matière». Pas dans une visée esthétisante ou psychologisante, plutôt pour «donner valeur au mystère des mots, reliés, à leur tour, au mystère de la vie».

Liquida, son dernier recueil de récits brefs, publié chez Opera Nuova en 2017, condense cette éthique de l’écriture qui fond sa pratique avec une vie. Une vie qui n’arrête pas d’avancer, qui continue à se reformuler, à poser un regard toujours renouvelé à travers le prisme d’une langue qui, elle aussi, se cherche : «Les mots, les sons, ce sont eux qui viennent vers toi ; il faut les écouter ; ils arrivent, ils nous enchantent, ils nous laissent stupéfaits». A travers ses vingt-sept récits, Liquida révèle l’état toujours naissant de notre vie autant que de l’écriture. Les éléments biographiques émergent çà et là. Mais Anna Felder souligne qu’elle ne veut pas mettre en scène sa vie d’une manière biographique ; plutôt, elle essaie de se voir autrement, du dehors, et aborder par là le paradoxe de la vie: pour elle-même, mais aussi pour les autres. «Avec ironie, et sans aucune prétention d’absolu.» Le regard discret mais perspicace de sa plume, qui dévoile les objets les plus communs pour les faire redécouvrir dans une nouvelle sonorité, se retrouve aussi dans sa personne qui, on l’espère, continuera à nous guider à la rencontre de l’autre, de l’étranger, comme du commun et du banal, d’une manière toujours curieuse et accueillante.

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