Es groovt in Thun

An der letzten Veranstaltung im Uferbaukino stellte ein von den letzten Tagen etwas mitgenommener Matto Kämpf mit viel Mut zur Improvisation die 5 Herren vor, die gemeinsam die Spoken Word Crew «Thun ist nirgends» bilden: Die beiden Musiker Jan Dintheer und Steven Wyss sowie die drei Slam-Poeten Michael Frei, Marco «Güschä» Gurtner und Remo Rickenbacher.

Es ging, wie man sich das vom Poetry Slam schon gewohnt ist (weil an den Wettbewerben die Auftrittszeiten streng gemessen werden) direkt zur Sache. Im ersten, von den drei Slammern zusammen performten Text, erzählen sie von einem Schwingfest, in der Mundart «e Chnechtehudlete». Nachdem erst einmal untereinander geklärt werden musste, dass es hier ums Schwingen und nicht ums Swingen geht, jagte eine Pointe die nächste. Es war ein «chnorze und hudle» im Sägemehl, im Schlussgang schliesslich gewann niemand, der Kampf wurde «gschtellt». Die drei Poeten an den Mikrofonen und auch ihre beiden Kollegen, die alle Texte mit passender Musik unterlegten, gaben ein gutes Team ab. Keine Patzer, keine Verspätungen, keine ungeplante Stille.

Auch die anderen Texte, die von Gurtner, Frei und Rickenbacher jeweils einzeln vorgetragen wurden, entlockten dem Publikum laute Lacher. Gewitzt erzählten die drei von Badi-Fritteusen und Jazz-Warteschlangen am Telefon, von der Hochzeit einer Ex-Freundin und von der unverständlichen Jugendsprache in einem Kleiderladen. Die Witze entstanden aus dem Zusammenspiel von Text und Musik, aus der Spannung, die sich daraus ergeben konnte, aus der Mundart, in der auch die ganz kleinen Dinge immer nochmals kurioser scheinen. Und dass es einen äusserst unterhaltsamen Emmentaler Konjunktiv gibt, wussten wahrscheinlich die wenigsten Zuschauer:innen.

Merci, «Thun ist nirgends», für einen würdigen und gewitzten Abschluss der Solothurner Literaturtage.

Une langue unique et qui nous transporte, avec Ivan Salamanca

A propos des Bonnes fortunes, j’ai entendu à ta lecture d’hier que tu avais publié un deuxième volet qui s’apparente beaucoup à celui-ci. Est-ce que tu voudrais parler un peu du contexte de sa publication ? Cela avait-il pour but depuis le début d’être publié en deux volumes ?

Oui, je les ai construits comme ça : le premier recueil est donc celui-ci, Les Bonnes fortunes, et le second est La Charrue et les étoiles. J’ai commencé à fabriquer mes récits autour des Bonnes fortunes, dont les thématiques très générales sont l’amour et la mort. C’était le sujet qui réunissait ces cinq textes au sein du recueil. Et puis, en parallèle, je travaillais sur d’autres textes avec le même type de structure, le même type d’esthétique mais qui prenaient plutôt une teneur qui allait en direction de la création et la destruction. Ceux-ci ont été intégrés au second recueil. Je considère ces deux livres comme des frères ou des sœurs. Ils sont directement liés, mais c’était important pour moi qu’ils soient séparés selon leurs thématiques. 

Est-ce que tu voudrais me parler un peu de ton parcours ?

Toutes mes études se sont faites à Genève. J’ai fait une maturité scientifique et j’ai ensuite commencé l’université à Genève en français, japonais et histoire. Au cours de mes études, je suis allé au Japon plusieurs fois et ma branche principale, qui était initialement le français, est devenue le japonais. J’ai obtenu ma licence universitaire puis j’ai été engagé pour faire de la recherche en japonais, que j’ai arrêtée après un an parce que j’avais vraiment l’idée de me consacrer à l’écriture littéraire et que j’avais l’impression que l’aspect scientifique de l’université me coupait un peu dans ma créativité. Ensuite, j’ai travaillé comme travailleur social au Bateau Genève, qui est une structure qui reçoit les gens de la rue. Et puis, en 2009, j’ai fait la découverte de l’écriture de Pierre Michon à travers son texte La Grande Beune. Et là, tout à coup, j’étais face à une prose lestée d’une charge hors norme de poésie, qui m’a vraiment donné l’influx nécessaire pour pouvoir penser à concevoir un texte destiné à être publié. Je me suis mis à fabriquer quelque chose dans cette direction-là. En cours de rédaction, j’ai constitué un dossier pour le prix de la Fondation Édouard et Maurice Sandoz de littérature, que j’ai finalement remporté. Et à partir de là, les conditions étaient réunies pour que je me lance pleinement dans l’écriture. Voilà comment tout a commencé. 

En parlant de japonais, quel est ton rapport aux langues et est-ce que ton rapport au japonais a modifié ton regard sur le français ou sur ta manière d’écrire ?

Non, pas directement. Je ne pense pas que ça ait eu un effet sur ma manière d’écrire. Par contre, ça m’a beaucoup enrichi sur le plan personnel. Je connaissais d’autres langues, mais le japonais c’est vraiment une structure linguistique qui est très différente, avec un positionnement du je qui est très différent aussi, avec des formules de politesse et des nuances de langues qui sont extrêmement précises et qui m’obligeaient à faire la rencontre d’un moi que je ne connaissais pas forcément avant. Le japonais, c’est un décalage expressif, c’est un médium très différent de celui du français. Après, je ne crois pas que cette langue ait eu une influence directe sur mon écriture. Je pense que ma base littéraire, mon cursus et ma passion littéraire sont vraiment très concentrés sur la francophonie et c’est aussi ça qui m’a fait arrêter la recherche en japonais. J’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir des auteurs et à voyager à travers des textes japonais, mais je suis un peu monomaniaque avec la littérature et c’est surtout par le français que je suis porté.

Au sujet du bilinguisme dans Promesses de lune, le premier récit des Bonnes fortunes, un certain nombre de termes italiens reviennent. Tu as une nationalité italienne ?

Oui, mon père vient des Pouilles, du talon de la botte : je suis pour moitié Genevois et pour moitié Pugliese. C’est le seul texte jusqu’à présent où j’ai inscrit des mots qui viennent d’une autre langue… Je pense que ça a découlé du fait que dans ce récit-là, il y a une découverte assez exotique d’un pays très différent qui pourtant est à quelques kilomètres de celui que connaît mon personnage, le douanier. Et il y a aussi cette idée que cette langue est très chantante. Ça revient plusieurs fois dans le récit. L’idée que par ce chant est provoqué un dépaysement du personnage. Voilà pourquoi j’ai utilisé ces mots sans les traduire. Je ne l’ai pas fait de manière vraiment réfléchie, c’est venu comme ça, c’était nécessaire. C’est vraiment le récit qui m’a appelé à faire de la sorte. 

A propos de l’usage de l’italique, il m’a semblé qu’à chaque fois qu’il apparaissait, il s’agissait d’une incursion ou expression du récit propre du personnage. Que pourrais-tu dire à ce sujet ?

Si on regarde Promesses de lune, en effet il y a une espèce de refrain qui se répète au fil du texte et qui se répète en se transformant, en se restreignant, en s’amplifiant ; il y a d’autres italiques également qui sont liés à des expressions de la langue française comme tisser une corde de sableprendre la lune avec ses dents, qui signifient parvenir à l’impossible. Ça, c’est vraiment quelque chose qui a guidé mon écriture au fil de ces deux recueils de récits courts :  partir d’une expression de la langue française et graviter autour. C’est une exigence stylistique que je me suis donnée. Dans certains textes, elles sont intégrées sans être mises en italique, dans d’autres elles le sont. J’ai fait usage de l’italique à la fois pour marquer les quelques très rares dialogues entre les personnages ou certaines de leurs pensées intimes, et à la fois pour souligner ces expressions de la langue française.

Au sujet de la poésie, tu as dit que Pierre Michon t’a inspiré pour donner une voix prosaïque à la poésie. Pourrais-tu préciser ce que cela signifie pour toi, et ce que cela dit de ces frontières entre les genres ?

Pierre Michon n’est pas le seul, je le cite tout le temps car il a été une révélation littéraire, il a fait incursion sur ma route au bon moment et au bon endroit, sa plume m’a ouvert des possibles. Mais j’en parle trop. Ce mélange de prose et de poésie, je l’ai trouvé avant cela, chez d’autres auteurs que j’affectionne particulièrement. J’ai été assez époustouflé par la langue de Francis Ponge par exemple, de Julien Gracq, plus tard de Jean Giono. J’ai à la fois toujours lu beaucoup de poésie et peut-être même plus de poésie dans ma jeunesse que de prose. Ce qui m’intéresse en littérature, c’est d’être face à une langue qui prend des chemins de traverse par rapport à celle que l’on use quotidiennement ; ce qui souvent, il est vrai, demande un effort particulier d’attention. J’ai peu d’intérêt à lire une langue qui n’est pas proprement travaillée, qui ne porte pas en elle quelque chose de déroutant, d’éblouissant. J’ai besoin de cette claque langagière, esthétique qu’on peut trouver chez les auteurs que j’ai cités notamment, ou chez les surréalistes en poésie, ou chez Rimbaud. Récemment, j’ai lu les poèmes du Sel noir d’Édouard Glissant, qui m’ont fait cet effet. Mais je peux aussi le trouver dans La Route des Flandres de Claude Simon ou chez David Bosc, par exemple. Poésie ou prose, qu’importe finalement : ce qui compte est que la langue soit vraiment unique et nous transporte.

Pour toi, qu’est-ce qu’ajouter quelque chose de lyrique à un texte en prose ?

Cela se passe au niveau du choix des mots, il faut un investissement total de l’auteur pour saisir le bon mot afin qu’un choc esthétique puisse advenir. Il ne s’agit pas que de beauté, mais aussi d’émotion. Il faut que la vibration du mot dans le rythme de la phrase se fasse, que sa vocation ne soit pas seulement de rendre les choses intelligibles mais aussi vibratoires. Il s’agit de résonance et de musique, de justesse. Et tout cela doit être entraîné dans un souffle, un mouvement qui corresponde au propos. Tout ce travail pour moi est strictement poétique mais doit s’inscrire dans la prose. Je pense tout à coup à une autre claque littéraire que je viens de recevoir et qui vient de Michel Jullien, de son texte Yparkho, publié chez Verdier. Toutes les phrases de ce récit sont quasiment parfaites. Il n’y a rien à jeter. Ce n’est pas de la perfection grandiloquente, c’est de la perfection parce qu’elle est incarnée. Ce que j’aime c’est l’incarnation, le souffle, et ce même même dans les failles du texte – le fait de sentir que l’auteur s’est attelé à s’approprier la langue pour lui donner une liberté, une sauvagerie, une identité propre, pas seulement au service du contenu mais bien de la forme. La forme a une influence sur le contenu qu’il ne faut pas négliger. C’est ça, le lyrisme.

As-tu déjà écrit et publié de la poésie ?

Je n’ai pas publié de poésie mais j’en ai écrit, oui. Les premières choses que j’ai écrites, avant d’être publié, c’était de la poésie. Ça résultait souvent d’un besoin assez personnel et viscéral. La poésie, pour moi, c’est le terrain de jeu langagier le plus libre qui soit. C’est là où les carcans structurels peuvent être suffisamment mis de côté pour s’atteler librement à la force des images, aux associations sonores, et se laisser véritablement surprendre par ce qui advient. J’en écris encore, de temps en temps, mais plus rarement depuis que je suis publié et que j’instille, autant que faire se peut, de la poésie dans mes proses.

Et pourquoi cinq récits ?

Il s’est avéré qu’à force d’en construire j’en avais douze, treize et dans ces douze, treize, peut être quatorze j’en ai sélectionné dix, cinq par recueil. Ce n’est pas un chiffre symbolique mais j’avais le désir que cela se fasse en miroir, qu’il y ait le même nombre de récits et à peu près le même nombre de pages dans les deux livres.

Est-ce que tu voudrais dire une dernière chose ?

Ce que je peux encore ajouter c’est que l’écriture de ces récits courts s’est faite à la base un peu par hasard, parce que j’ai répondu à un appel à texte d’une revue littéraire et que je me suis attelé à cet exercice. Et finalement, je pense que même si ce n’est pas du tout une recette, ce format convient assez bien à ma langue qui est une langue dense, chargée en images et en sonorités, en circonvolutions parfois. Ici, les fenêtres que le texte ouvre doivent être peu nombreuses et se refermer rapidement, ce qui m’a poussé à aller à l’essentiel, ce qui a été un extraordinaire exercice pour moi. Et je suis heureux que ces deux petits livres aient vu le jour.

Retour à l’essentiel, avec Simona Brunel-Ferrarelli

Un instant à l’ombre de la frénésie et de l’ébullition du monde. Un instant de calme au cœur de la vie. Rencontrer La Chienne-Mère de Simona Brunel-Ferrarelli, c’est l’occasion de freiner, de se reconnecter à l’essentiel, de ne plus s’abîmer. Rencontrer La Chienne-Mère, c’est entrer dans la peau d’Allegra Felice, qui, piétinée par une famille intransigeante et violente, croise le regard salvateur d’une chienne (qui se nomme Mère). Accompagnée par sa chienne Luna, Simona Brunel-Ferrarelli revient sur son dernier roman, paru en 2021 aux Editions Slatkine, et nous livre ses pensées brûlantes d’émotions.   

Dans La Chienne-Mère, le contraste entre les deux types d’énergies maternelles que vous dépeignez est saisissant. La dureté de la mère d’Allegra est si bien juxtaposée à la bienveillance de sa chienne ! Le titre de votre récit est-il un moyen de faire référence à ces deux énergies ? Se veut-il polysémique ?

En fait, le titre voudrait plutôt brouiller les pistes. Il voudrait plutôt confondre. D’ailleurs il y arrive très bien puisque j’ai eu toutes sortes de retours, et aussi négatifs. Mais moi ça ne me dérange pas de déranger. Et on l’a plutôt entendu comme une connotation négative de la maternité. Et peut-être parce que lorsque l’on écrit, il y a tout qui nous échappe, enfin j’espère du moins que ça nous échappe parce que si on calcule tout alors ça ne va pas. Et probablement qu’en voulant jouer sur les mots, il y a cet aspect négatif, pas de la maternité mais de l’humanité, qui m’a échappé. Il y a cet aspect presque insultant de la maternité qui rebondit dans le titre, une maternité humaine qui pour autant mérite tout mon respect. Je suis moi-même maman de deux enfants. Vous parlez de polysémie, je crois que oui, polysémie mais on a surtout entendu un aspect de ce titre qui est un aspect négatif. […] En fait ma priorité, c’est d’inverser la donne, de créer des néologismes, d’inverser le temps et la place des mots. Donc j’aime bien par exemple mettre l’adjectif après. Et La Chienne-Mère c’est une Mère-Chienne, mais une Chienne-Mère. […] La langue française est élastique. Et donc dans cette élasticité moi je trouve des sens. Un peu par hasard hein, tout d’un coup on découvre que l’on inverse juste et puis on met un trait d’union et ça change tout.

Dans La Chienne-Mère, il est possible de tisser de nombreux liens et parallèles entre les différents protagonistes, même entre les humains et les animaux. Dans votre roman, comment qualifieriez-vous la frontière entre le règne animal et l’humanité ? Y en a-t-il une ?

Écoutez je ne sais pas, je vais en parler à ma psy. Je n’en sais rien. Elle est très bien cette question. Je ne peux pas vous répondre parce qu’elle mérite une grande réflexion. Mais ce que je peux vous dire, c’est que depuis un événement précis, qui est la mort de ma mère il y a 6 ans, je vis avec elle (en regardant sa chienne) et puis avec Pablo, qui est arrivé il y a 3 ans. Je vis avec des chiens. Et donc la frontière se confond pour moi, j’ai donné de plus en plus d’espace aux chiens. Je lui ai donné beaucoup plus d’activités (elle montre Luna), elle est devenue chienne de thérapie, on a fait les fins de vie, on a fait les accompagnements aux enfants autistes, on a fait tellement d’activité que cette frontière est devenue floue, et je suis de moins en moins bien avec les humains et de mieux en mieux avec les chiens. Ce qui n’est pas très bien en soit, mais j’y travaille.

Dans La Chienne-Mère, le regard d’un chien est empreint d’un amour si pur qu’il a la possibilité de métamorphoser l’humain. Selon vous, ce regard peut-il changer l’identité d’une personne ?

Camus disait que l’on n’écrit pas sa propre histoire, mais l’histoire de ses nostalgies. Et j’ai la nostalgie, petite, de ne pas avoir eue une chienne comme elle. Donc je n’ai pas eu cette enfance. J’ai eu des choses de cette enfance, mais j’aurais adoré avoir une chienne comme elle. Je l’ai eue tardivement et elle a pansé toutes mes plaies. Donc elle m’a permis aussi de mieux voir le monde. Un exemple vraiment bête : on a une rancœur envers quelqu’un, on a une colère qui monte, on a une jalousie, on a des sentiments bas qui nous appartiennent, l’être humain est plein de sentiments violents, ce roman est un roman sur la violence mais on est tous violents à l’intérieur de nous-mêmes. Alors que demain soir, quand je vais rentrer, Pablo va m’accueillir comme si je ne l’avais jamais quitté. Il va m’accueillir et me lécher de la tête aux pieds. Et tout d’un coup on se dit : mais si seulement on avait 1% de cette générosité qu’ont les animaux, il n’y aurait pas de guerre en Ukraine, il n’y aurait rien. On dit souvent, cette phrase vous avez dû l’entendre, « si le monde appartenait aux femmes », mais non les femmes sont pires que les hommes. Si le monde appartenait aux bêtes, qui ne se battent que pour chasser, il n’y aurait rien de tout ça. C’est sûr, il n’y aurait rien de tout ça. […] Les chiens se jetteraient dans un lac pour nous sauver. Les Hommes ne le font pas.

Dans La Chienne-Mère, vous expliquez que « la langue n’a rien inventé comme mots pour décrire [l’émotion d’une mère qui perd son enfant] ». Est-ce la même chose avec l’amour que l’on perçoit dans le regard des animaux ?  Est-ce aussi une émotion indescriptible ?

Je vous répondrai quand Luna ne sera plus là. Je n’aurai plus jamais ça avec un autre chien, je n’aurai pas ça avec Pablo. Et vous voyez, je ne pouvais pas venir à Soleure et la laisser à Genève. Je peux laisser mes enfants mais je ne peux pas laisser Luna. Donc j’ai vraiment un rapport enfant-mère, mère-enfant. Elle m’a sauvé la vie quand elle avait 5 mois, on ne se connaissait pas bien. J’ai eu une crise d’asthme, elle m’a tirée jusqu’à une pharmacie quand même hein, je serais morte sinon. Elle a… Elle a fait bouger la main de quelqu’un qui était dans le coma, donc ce n’est pas rien ces chiens quand même. Dans ce livre, [la chienne] est l’antiviolence. Si vous voulez comprendre ce livre, je décris la violence qu’il y a entre tous les humains et de plus en plus dans le monde d’aujourd’hui […]. Et dans ce monde qui  avance, qui progresse ou qui régresse je ne sais pas, qu’on ne peut pas freiner, où la violence est partout, dans l’agroalimentaire, dans les réseaux, partout, là le chien n’a pas changé. Le monde animal n’a pas changé. Donc moi, ça me redonne confiance dans la vie. Je me dis que si eux sont restés pareils alors nous on peut aussi. On peut aussi revenir à une normalité. On peut aussi écarter cette bouteille de coca comme l’a fait Ronaldo, faire chuter Coca-Cola et revenir à un monde normal. Les chiens vivent dans un monde normal.

Certaines théories expliquent que dans une famille, les traits de caractères se transmettent de génération en génération. Dans La Chienne-Mère, ce mouvement transgénérationnel ne s’actualise pas chez Allegra, n’est-ce pas ?

Alors j’ai ça aussi avec Les Battantes, sauf que c’est une histoire d’amour entre adolescents et c’est dans la rencontre entre ces deux adolescents où la fille dit au garçon dont elle est amoureuse : « il sera ma mère nouvellement advenue ». Je crois qu’à un moment donné, nous recevons une génétique et puis à un moment donné, la famille cesse. Il arrive à un moment dans notre histoire biologique où la famille n’est plus la famille, où la famille de cœur prend la place de la famille. Moi j’ai vécu ça et j’étais très attentive à ça. Ça ne veut pas dire que ma mère n’était plus ma mère, j’ai vécu un drame quand ma mère était décédée. J’ai eu la chance dans ma biographie de rencontrer des êtres exceptionnels. Elle [Luna] est le dernier être exceptionnel que j’ai rencontré, et de tous elle est le meilleur. Je ne m’autorise pas à aimer Pablo encore, parce qu’elle est encore là. Elle a 9 ans cette année. Quand elle ne sera plus là on verra. Mais je pense que c’est valable aussi dans les couples, dans les grandes rencontres entre grands amis, entre amoureux. À un moment donné, on recrée une sorte de famille. Il y a des couples qui sont indissolubles même s’ils ne sont plus ensemble. Ils ne se retrouvent plus jamais mais ils restent des couples.

C’est donc un message profondément optimiste que vous dépeignez au sein de toute cette violence ?

Complètement, mais absolument. Mais la violence elle est là. Elle existe même quand on ne l’exerce pas, on l’éprouve. Il ne faut pas la nier, il faut arrêter de la nier. Il faut arrêter de dire qu’on vit dans le meilleur des mondes c’est faux. Maintenant on peut la transformer. Il faut entrer dans la peau du dragon. Il ne faut pas tuer le dragon, c’est fini l’époque où on tuait les dragons, il faut entrer dans la peau du dragon et dire « qu’est-ce qu’on fait maintenant avec ça ? Qu’est-ce qu’on fait ? ». Et vous voyez, par exemple Luna quand je l’ai prise ben c’était un chiot, un chiot Golden. Un chiot Golden ça mord, elle a quand même cassé la mâchoire de mon fils. Mais on a transformé ce qui potentiellement pouvait être une violence en bienveillance. Elle ne s’est pas transformée toute seule cette violence en bienveillance, c’est quand même un chien de chasse qui reste un chien de chasse. […]. Mais ce travail de transformation il faut qu’il se fasse. C’est le discours nature-culture. C’est un équilibre perpétuel entre Voltaire et Rousseau.

J’ai été étonné de voir à quel point votre récit est brûlant d’authenticité. J’avais parfois l’impression de vivre les mêmes événements qu’Allegra, de voir cette vie défiler sous mes yeux. Pour parvenir à une telle authenticité, quelles parts de vous avez-vous mis ce roman ?

Alors les chiens sont autobiographiques et c’est tout. Je n’écris jamais de romans autobiographiques, mais je ne me sers que des choses que je connais. C’est un peu tordu comme je réponds. Mais je déteste les romans autobiographiques, j’ai horreur de ça. J’ai horreur de la réalité aussi. Mais je ne peux raconter que ce que je connais. Mais si vous lisez Les Battantes, vous verrez que c’est un milieu socio-culturel complètement différent, et alors vous vous dites « mais quelle est la part de vrai ? ». Les émotions sont vraies. Les événements sont fous, mais les émotions sont toutes vraies. Les événements ce n’est pas grave, les événements me servent de support pour raconter des émotions. Quant au chien, ben le chien s’appelle Bandit parce que j’ai effectivement un petit chien, qui est mort dans mes bras, et à partir de cette mort, j’ai construit Bandit. Vous voyez, donc il n’y a rien d’autobiographique mais les émotions sont les mêmes. […]. Pour être franche avec vous, ce roman n’était pas du tout parti pour parler de ma chienne. Il était parti dans la direction de la violence. Et puis il sonnait faux et puis je n’arrêtais pas de deleter, deleter, deleter, deleter, deleter. Et puis un jour, mes yeux tombent sur Luna, et puis je dis « ah mais voilà pourquoi je delete ». Et c’est reparti tout à fait dans un autre sens. Et là c’était un autre roman. Il manquait l’émotion. Tant qu’on racontait une histoire, ce n’était pas intéressant. Il faut raconter des émotions. Moi je ne peux raconter que des émotions. Je ne veux pas raconter des histoires, ça ne m’intéresse pas.

***

« Si nous pouvions, l’espace d’un instant, mériter l’infiniment humble du cœur de nos chiens, nous serions sauvés ». – Simona Brunel-Ferrarelli, La Chienne-Mère

Pour plonger dans ce récit brûlant de sensations, rendez-vous aux Editions Slatkine.

Über Identität(en), Sprache(n) und Schreiben

Am Podiumsgespräch Über Aneignung, Identitäten und die Literatur nahmen Blaise Ndala, Boutheyna Bouslama und Sasha Marianna Salzmann teil. Das Gespräch wurde in deutsch-französischer Simultanübersetzung übertragen. Die Ankündigung versprach, an die Debatte über die Freiheit des Imaginierens und Erzählens anzuknüpfen und zu klären, was diese für die Zukunft der Literatur bedeutet. Doch schon die erste Frage des Moderators Eric Facon lenkte das Gespräch in eine andere spannende Richtung: Was bedeutet Identität für dich, Qu’est-ce que l’identité pour toi?

Alle Gesprächsteilnehmer*innen sehen Identität als etwas sehr Fluides an und bringen selbst einen mehrsprachigen, multinationalen beziehungsweise interkulturellen Hintergrund mit. Die angeregte Diskussion drehte sich von da an vor allem rund um Identität(en), Sprache(n) und Schreiben. Hervorgehoben wurde, dass die Sprache eine wichtige Rolle für die eigene Identität einnimmt, wobei Schreiben und Sprachlichkeit genuin zusammenhängen.

Sasha Marianna Salzmann schilderte beispielhaft, inwiefern Strukturen in der Sprachen uns prägen. Sie* selbst spricht Russisch, Deutsch, Englisch, Jiddisch und Türkisch und hat zu all diesen Sprachen einen emotionalen Bezug, zudem schreibt sie* in all diesen Sprachen. Dass auch die Absenz einer Sprache Identität beeinflusst, ist der Autor*in wichtig zu betonen. Ihre* Familie stammt ursprünglich aus der Ukraine; dass die Autor*in selbst jedoch kein Ukrainisch spricht, ist für die politischen Repressionen bezeichnend. Blaise Ndala ist im Kongo geboren, lebt in Kanada und spricht Französisch, Lingala, Kikongo und Englisch. Für ihn bringen Sprachen unterschiedliche Erzählungen und Perspektiven. Sein Anliegen als Schriftsteller ist es, diese Erzählungen in andere Sprachen übersetzen und damit die Geschichtsschreibung zu vervollständigen. Boutheyna Bouslama schreibt in Arabisch, Französisch und Englisch, identifiziert sich aber nicht mit allen Sprachen gleich. Obwohl sie in all diesen Sprachen schreibt, singt sie beispielsweise während des Abwaschen nur auf Arabisch vor sich hin. In ihrer Rolle als Schriftstellerin und Filmemacherin sieht sie sich in der Verantwortung, die Komplexität der Identitätsfrage zu thematisieren. Allerdings macht sie darauf aufmerksam, dass man dazu überhaupt eine Plattform erhalten muss.

Das Gespräch wurde nicht nur in deutscher und französischer Sprache geführt, sondern switchte auch zu Englisch und kleinen Fetzen Russisch. Zudem überlagerten sich die Sprachen in der Simultanübersetzung. Die betonte Fluidität wurde somit auf der Bühne performt, was zugleich herausfordernd als auch bereichernd war.

Ein Beitrag von Michelle Agatiello & Rahel Staubli

Wie aus Frustration ein Supergerhard entstand

Obwohl die Literaturtage bald zu Ende gehen, finden sich zahlreiche Besucher im Theatersaal ein. Anaïs Meier liest aus ihrem ersten Roman Mit einem Fuss draussen vor. Die Erwartungen sind hoch.

Meier setzt sich und nimmt mit ihrer Präsenz sofort den ganzen Saal für sich ein. Als sie zu sprechen beginnt, unterlegt plötzlich ein Brummen über den Lautsprecher ihre Worte. Das wirkt dramatisch. Im Nachhinein kann man dieses Brummen durchaus als Vorankündigung zu einer göttlichen Unterhaltung deuten. Die Autorin lebt bei der Lesung den Charakter ihrer Hauptfigur Gerhard. Supergerhard, wie er sich auch gerne selbst nennt, ist wie sie im besten Alter, wie Meier mehrfach betont. Ihre Mimik und Tonfall machen den schrulligen Protagonisten auf der Bühne lebendig. Die Zuschauer:innen lachen immer wieder über die Aussagen oder Beobachtungen von Gerhard, der eben nicht so spricht, wie man es aus Romanen gewöhnt ist. Und deshalb hat Meier dieses Jahr auch den Förderpreis Komische Literatur erhalten.

Wie ist Meier überhaupt auf die Idee zu diesem Roman gekommen? «Meine besten Jahre habe ich an Ludwigsburg verschwendet», meint sie trocken. Ihr wurde während dem Studium gesagt, dass sich niemand für die «Asozialen» (ein Wort, mit dem sie absolut nicht einverstanden ist) interessiere. Da fehle die Fallhöhe. Ihr Kommentar dazu: «Fallhöhe? Who cares! Mir geht es am A*** vorbei, wie es einem Professor in seiner Lebenskrise geht.» Probleme sind bei Menschen wie Gerhard, die am Rande der Gesellschaft stehen, viel existenzieller.

Darum hat Meier auch Gerhard erschaffen: «Gerhard war schon immer ein bisschen ein Spezieller. Auch in der Schule.» Obwohl er als weisser, heterosexueller Mann zu den Privilegierten gehören würde, steht er dennoch am Rande der Gesellschaft. Diese Zusammensetzung lenkt weniger vom Grundprinzip Ausgrenzung ab, als wenn die Hauptfigur auch noch eine Frau, people of color oder homosexuell gewesen wäre. Denn wäre es bei Gerhard besser gelaufen, könnte er jetzt auch Banker sein. Meier ist der Ansicht, dass das Phänomen der Ausgrenzung im menschlichen Wesen verankert ist. Eine Art Herdendenken bei Menschen, welches Andersartige ausschliesst: «Menschen benehmen sich daneben.» Es ist ihr darum wichtig, dass Gerhard nicht angestarrt wird, seine Würde verliert oder man über ihn lacht. Humor hilft aber dabei, aufzustehen und weiterzumachen.

Quelle est l’identité d’un·e écrivain·e balloté·e par les vents ?

Table ronde sur l’appropriation, l’identité et la littérature

Avec Boutheyna Bouslama, Blaise Ndala et Sasha Marianna Salzmann, modérée par Eric Facon.

La salle du Théâtre de Soleure est remplie de personnes de tous âges. Le public attend avec intérêt l’arrivée des intervenant·e·s. Le thème annoncé est riche, actuel, et on sent un désir de découvrir les paroles des autrices et de l’auteur invité·e·s. Leur entrée sur scène se fait sous les applaudissements généreux de l’audience.

Eric Facon ouvre la discussion en interrogeant chaque invité·e sur son identité. Cette question posée à des artistes si riches d’origines et de vécus occupera l’entier du temps imparti.

Cinéaste et plasticienne, Boutheyna Bouslama est l’autrice de Livres perdus, nouvelles chaussures. Née à Genève, elle vit entre cette ville du bout du Lac et Istanbul.

Le modérateur pose le décor : « Boutheyna Bouslama, tunisienne, qui habite en Turquie, mais qui se dit parfois un peu genevoise, ou un peu plus genevoise, mais pas tout à fait genevoise. Alors quoi ? »

L’autrice avoue qu’elle n’a pas de réponse. Un bref silence suit. On pèse ce qu’il signifie en douleur et en questionnement. Bouslama est consciente que le premier contact qu’on prend avec un·e artiste plasticien·ne, c’est de lire le cartel avant de regarder son œuvre d’art. On découvre d’abord son nom, sa consonance, puis son année de naissance. Ainsi, on classe l’artiste dans un certain courant artistique. Ces quelques informations sur son identité sont « des clefs essentielles de lecture de la pièce de l’art et de la lecture d’un livre ». Boutheyna Bouslama se sent dans une « zone grise ». Elle déteste qu’on la considère « citoyenne du monde ». Elle se déclare « fille d’immigrés qui sont devenus expatriés ». « Je suis devenue moi aussi immigrée ». Pour elle, il y a deux types d’identité. D’une part l’identité culturelle, idéologique, émotionnelle ; de l’autre, l’identité administrative, celle qui figure sur les passeports et les cartes d’identité. Elle se sent appartenir idéologiquement à la culture suisse romande, mais n’a pas obtenu les papiers pour rester en Suisse et s’est fait expulser du territoire en 2014. Son rapport à sa propre identité est douloureux.

Sasha Marianna Salzmann écrit en allemand, anglais et russe. Elle a des origines juives ukrainiennes, a vécu à Istanbul et est aujourd’hui établie à Berlin. Pour elle, l’identité d’une personne se décline sur plusieurs plans : les relations, en lien avec le lieu où elle vit, les restrictions auxquelles elle fait face, et les rituels qu’elle entretient. Salzmann est née en Union soviétique. Elle est de nationalité juive. Elle affirme avoir une connexion émotionnelle avec cinq langues : le russe et le yiddish, appris à la maison, l’allemand, langue du pays où elle vit actuellement, le turc, appris lors de son séjour de quatre ans à Istanbul, et l’anglais, qu’elle parle avec la majeure partie de ses amis. Elle déclare avec tristesse que personne dans sa famille ne parle ukrainien, la langue s’est perdue.

Dans ce riche parcours, elle raconte son amour particulier pour Istanbul, connectée à un grand nombre de langues, de pays, de siècles, qui se rencontrent en un même lieu, au même endroit. Son premier roman Außer sich s’inscrit dans ce contexte et dans cette ville. Quand elle pense que son roman est traduit dans dix-sept langues, elle se sent en connexion avec le monde entier à travers la langue.

Blaise Ndala, auteur de Dans le ventre du Congo, est originaire de ce pays lorsqu’il s’appelait le Zaïre. Il a étudié les droits de l’homme en Belgique, puis s’est établi au Canada.

Blaise Ndala, quand on l’interroge sur son identité, est dans l’affirmation. « Je viens de tous ces lieux ! » : le Congo, la Belgique, le Canada. On a l’impression qu’il se sent chez lui partout, qu’il prend racine dans les lieux vers lesquels sa vie le mène. Mais il apprécie particulièrement le Canada pour son ouverture et son multiculturalisme revendiqué.

Dans son enfance, il a baigné dans la francophilie de son père. Ses parents ont décidé de lui parler français à la maison, car le kikongo ou le lingala, il l’apprendrait dans la rue. Son contact avec la violence dont sont capables les Français par exemple a fortement atténué cette vision idéalisée de la culture française. Il considère que son identité d’auteur africain lui donne la mission de donner une voix à l’histoire de son continent, car celle-ci est en grande partie absente des livres. Il a mis par écrit les contes que lui racontait sa grand-mère, qui n’a elle-même jamais lu ces histoires, puisque ses livres n’ont jamais été traduits dans une langue qu’elle aurait pu comprendre. Mais il observe avec peut-être un brin de remord qu’il écrit dans la langue du colonisateur. Et il garde en lui le désir d’un jour les publier en kikongo ou en lingala.

Le public aurait aimé les entendre parler encore longtemps, mais le festival continue. Nous repartons admiratif·ve·s du courage de ceux et celles qui ont décidé de partir faire leur vie ailleurs ou qui y ont été contraint·e·s. Avec passion, chacun·e a relevé le défi de refaire sa vie ailleurs, et nous transmet cette force, avec et au-delà des mots.

François-Henri Désérable: «Mon écriture est ma liberté»

Dans votre dernier roman, Mon maître et mon vainqueur, paru aux Éditions Gallimard, vous dites « explorer la passion amoureuse » entre Tina et Vasco, alors même que Tina est en couple avec Edgard, le père de ses jumeaux. Il me semble que le personnage de Tina est plus complexe, et suscite par moment des interrogations quant à ses sentiments envers Vasco. Peut-on réellement nommer leur relation une « histoire d’amour » ? 

Oui, la première acceptation de l’amour est celle du Christ, les souffrances endurées par le Christ, donc il y a toujours cette idée que la passion vient avec son lot de souffrance. C’est une histoire d’amour impossible entre deux personnes qui s’aiment à un moment où ils ne sont absolument pas censés s’aimer.  

Mais alors, que voulez-vous dire lorsque vous renvoyez Tina à l’irréversible de son destin à partir du moment où elle a deux enfants et un mariage à planifier avec Edgard ? 

Elle fait un sacrifice d’amour pour un autre qu’elle estime, peut-être pas passionnel, mais passionnant, l’aventure familiale peut tout à fait être passionnante. Je ne veux pas me faire le contempteur de l’amour paisible et nonchalant. Elle renonce à une passion incandescente au profit de la vie de famille qu’elle mène avec un homme qu’elle n’a jamais cessé d’aimer, même si le narrateur se moque un peu de lui.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce narrateur dont on ne sait pas grand-chose ? 

Son nom n’est pas mentionné, il se livre très peu, donne quelques informations sur sa vie personnelle, notamment à la toute fin, lorsqu’il se rend au mariage et parle de son propre mariage, et disons que c’est tiré de mon histoire personnelle. Il y a beaucoup de moi dans chaque personnage, c’est à la suite d’une histoire d’amour que j’ai commencé à écrire ce roman. Il y avait une nécessité à écrire ce livre, je ne sais pas s’il y a une nécessité à le lire. Je n’arrivais pas à fixer mon esprit sur quoi que ce soit d’autre que le chagrin. Par conséquent, j’ai essayé de transformer tout ça en littérature, j’ai commencé par écrire des poèmes, puis je me suis ravisé. Je les ai insérés dans de la prose.

J’ai été interpellée par l’idée de faire jouer à votre narrateur un rôle d’intermédiaire entre les poèmes de son ami Vasco et le juge sur le bureau duquel ceux-ci se retrouvent après le suicide raté de Vasco. Pourquoi ce choix ? 

Je voulais explorer toutes les facettes de la passion amoureuse, si je m’étais contenté de raconter cette passion à travers le prisme d’un seul personnage, et bien, je n’aurais qu’une seule version de l’histoire, et là d’avoir un narrateur qui est l’ami de l’un et de l’autre, qui est presque un narrateur omniscient me permettait d’explorer les multitudes facettes, les milles ramifications de la passion.

Mais dès lors, puisque le récit de l’histoire est relégué à une tierce personne, peut-on se fier à la parole du narrateur ? 

Oui et non. Il y a ce qu’il dit au juge, et il y a aussi ce qu’il dissimule – et que le lecteur sait- pour ne pas porter préjudice à son ami, Vasco. Et ça me permet de m’amuser avec le lecteur, de créer une connivence avec le lecteur. 

À la fin du roman, quelques minutes avant de se marier, Tina décide de se couper les cheveux très courts, puis son père prend la décision de tondre le reste. Quelle est la signification de cette action ? 

Moi, j’ai pensé à deux choses, lorsque Tina se tond les cheveux, juste avant son mariage. J’ai pensé deux choses, j’ai pensé à Frida Khalo, qui se rase la tête également après avoir appris l’infidélité de Diego Rivera avec sa sœur – d’ailleurs, il y a un tableau très célèbre de Khalo où elle se représente en train de se couper les cheveux. Et puis la deuxième occurrence est de Rimbaud, après la mort de sa sœur, il se rase la tête et arrive à son enterrement, sans les cheveux. J’ai pensé à Rimbaud et à Kahlo, c’était un moyen symbolique pour Tina de rompre avec le passé très proche, de se détacher, de s’amputer. 

Vous abordez dans votre livre le thème de la « clairvoyance » à travers le tableau de Magritte. J’aurais aimé savoir si cette idée peut également être appliquée à la poésie ?

C’est vrai que ce tableau de Magritte, je le trouve fascinant. Magritte représente un peintre qui est devant son chevalet, et le peintre peint un oiseau aux ails déployés, devant lui, il y a un œuf. Ce que veut nous montrer Magritte, c’est que le peintre est voyant en quelque sorte. Il voit l’œuf mais peint l’oiseau, c’est-à-dire les conséquences de l’œuf. Et Rimbaud a écrit un poème « Lettres du voyant » dans lequel il considère que le poète est voyant. Peut-être qu’on peut dire que le poète est voyant, je ne sais pas. Le peintre l’est peut-être davantage que le poète. Mais disons que le poète, ou bien l’écrivain, est celui qui voit le monde avec sa propre singularité et qui parvient à la mettre en mots avec une voix qui lui est propre et reconnaissable entre toutes.

Il me semble que vous accordez une importance à la récitation de poèmes à l’oral. D’ailleurs, votre personnage Tina se récite des poèmes tous les matins. Quel est votre point de vue sur la perte de l’apprentissage par cœur de poèmes ? 

C’est vrai qu’on n’apprend plus tellement de poésie aujourd’hui, et on n’en lit plus. Je crois qu’en vérité, la poésie imprègne toujours nos vies, elle est passée dans la chanson aujourd’hui, des chanteurs comme Benjamin Biolay, Vincent Delerme sont avant tous des poètes. La poésie se trouve ailleurs.

Y a-t-il des situations de nos jours dans lesquelles l’usage de quelques vers aurait une utilité particulière ? 

Oui, ce qui m’a frappé, c’est le livre de Primo Levi « Si c’est un homme », écrit en italien. Levi a été déporté à Auschwitz; dans son livre, il raconte que les nazis avaient pu tout lui prendre, sa maison, son travail, ses amis, sa famille, jusqu’à sa dignité, puisqu’il se trouvait en pyjama rayé en plein milieu d’une plaine en Pologne. Pendant que la plupart de ses compagnons étaient gazés, il disait : « il n’y avait qu’une chose qu’on ne pouvait pas me prendre, c’était la poésie ». Pour tenir, il se récitait des poèmes, et c’est quelque chose qui m’a vraiment frappé lorsque j’avais dix-huit ans: dans l’horreur la plus absolue, la poésie pouvait vous permettre de tenir, vous sauver. Alors dans une moindre mesure, je pense que la poésie peut être salvatrice, et dans les temps morts de l’existence, si vous connaissez des poèmes, vous pouvez vous les réciter, de sorte que vous êtes toujours peuplés de mots, de vers, et tout cela peuple votre imaginaire. Et moi j’apprends beaucoup de poèmes par cœur. Cela m’est venu en voyageant seul, en ayant le temps de m’adonner à des choses aussi futiles, il y a quelques années. Lorsque je me promène seul, je me récite des poèmes, mais également de la prose, de sorte que je ne suis jamais seul, je suis en très bonne compagnie avec moi-même, puisque j’ai intégré un certain nombre de textes d’écrivains et d’écrivaines que j’aime bien. J’en apprends en anglais, en italien et en latin dont celui de l’empereur Hadrien qui se trouve dans la préface des Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar.

D’où vous est venue l’idée d’illustrer votre récit avec des photographies, telle que la lettre d’amour avec des empreintes de baisers que Tina adresse à Vasco ? 

Il me semble que la photographie dans le roman renforce l’effet de réel que l’on souhaite donner à la fiction. Par exemple, je raconte que Vasco vole le cœur de Voltaire, qui se trouve dans le socle de la statue de Voltaire à la BNF – je raconte ce vol et lorsqu’à la fin du chapitre, je mets une photo de la statue de Voltaire avec les fameuses lunettes de piscine, eh bien le lecteur se demande, est-ce vraiment de la fiction ? Ce qui m’intéresse c’est que la fiction nous paraisse réelle au point que les frontières soient brouillées entre le réel et la fiction. Pour ce qui est de la lettre, c’est une lettre fictive, je l’ai écrite et j’ai demandé à une de mes amies d’imprégner la lettre de marques de ses lèvres. 

Une dernière question un peu triviale si vous le voulez bien, pourriez-vous vivre sans écrire ?

Oui, sans doute, je crois que ce à quoi j’accorde le plus de prix, c’est la liberté. Il se trouve qu’écrire me permet de jouir d’’une certaine liberté: s’il me fallait à tout prix prendre le métro le matin pour aller dans un bureau costumé et cravaté pour m’adonner à l’écriture de neuf heures à dix-sept heures, je ne crois pas que je serais écrivain. J’ai commencé à écrire parce que j’accordais beaucoup de prix à ma liberté. Mais le problème, c’est que je ne pourrais pas me passer de la lecture, ça c’est certain, je lis davantage que j’écris. Et le problème est que la lecture de bons livres me donne envie d’écrire. La lecture de bons livres est un combustible de bûches que je mets dans la cheminée pour relancer le feu qui me donne envie d’écrire. Et donc je serais malheureux, si jamais suite à mes lectures je n’étais pas en mesure d’écrire. Mais je pourrais me passer de l’écriture davantage que de la lecture. 

Est-ce que tu brilles dans l’obscurité?

Simone Lappert est autrice de deux romans et marque sa présence aux Journées littéraires de Soleure avec son premier recueil de poèmes en allemand längst fällige verwilderung (retour longtemps attendu à l’état sauvage). Avant de commencer avec les questions, je veux me connecter avec l’autrice Simone Lappert. Pour cela, on fait un jeu de ping-pong : je commence par un mot, Simone me répond par le premier mot qui lui vient à l’esprit, je réagis à son mot et ainsi de suite. Finalement, on commence par communiquer non pas par des phrases, mais uniquement par des mots :

Poème, écrire, texte, lire, entendre, musique, saxophone, respiration, voir, horizon, mer, poisson, peur, lumière, lampe, mite, vole, peur.

Pourquoi tu écris en minuscules ? Est-ce le retour à l’état sauvage de l’écriture ? (Warum wird bei dir die kleinschreibung grossgeschrieben?)

J’aimerais donner le même poids à tous les mots et leur laisser la liberté de transgresser les catégories grammaticales. Et s’il y a peu de mots sur une page, chaque mot a plus de poids, donc je voulais donner la même chance à chaque mot et ne pas mettre en avant l’un ou l’autre.

Alors pourquoi tu notes la ponctuation ?

Le texte respire et cette respiration se traduit par la ponctuation. J’aimerais montrer aux lecteurices le rythme, le souffle et le battement de cœur que j’ai prévus pour la lecture de mes poèmes. Dans mes performances, le texte est pour moi un corps de sonorités (Klangkörper). Pour moi, n’importe quel texte – un roman, un essai, du théâtre – devient tridimensionnel par la lecture à haute voix.

Qu’est-ce qu’un « wortwild » pour toi ? (Le mot « wortwild » est un néologisme qui figure dans l’un de ses poèmes et peut être traduit dans l’explication de Simone par « motmurement » et dans mon interprétation par « métaféroce »)

Tu te réfères à un de mes poèmes qui s’intitule langschlaf (long sommeil). Dans ce contexte, c’est pour moi un murmure. J’adore quand les gens marmonnent dans l’état d’hypovigilance. Qu’est-ce qu’un « wortwild » pour toi ?

Pour moi, c’est le fait de pouvoir lâcher les mots à l’état brut. Les laisser en quelque sorte en liberté et ne pas les coincer dans les catégories comme tu l’as expliqué pour l’écriture en minuscules. Et leur donner avec cela la possibilité de se transformer et de signifier plusieurs choses en même temps.

Même si j’ai la perfectionniste qui se réveille de temps en temps en moi, j’essaye de laisser justement les mots à leur état sauvage (en wortwild). Et j’adore quand je termine un livre et que j’ai encore des questions.

Est-ce que ce sont les créations humaines qui retrouvent l’état sauvage ou est-ce le retour à l’état sauvage qui est une création humaine ? (Wird Mensch-gemachtes verwildert oder wird Verwilderung Menschen-gemacht?)

Le retour à l’état sauvage part du principe qu’avant ce n’était pas sauvage et que ça devient sauvage avec le temps. Si l’on parle d’un jardin qui devient sauvage, souvent c’est dans un sens négatif. Mais dans l’écriture, le retour à l’état sauvage est pour moi quelque chose de très positif. C’est rompre avec des structures, des codes fixes, pour laisser la place à l’ouverture, au sauvage. Et le deuxième sens de ta question: est-ce que le retour à l’état sauvage est une création humaine ? Je ne sais pas. Je pense que oui, dans le cas de l’art. L’art est une création humaine qui recherche le retour à l’état sauvage.

Dans ton recueil, tu as un poème qui se termine par une question : « comment arrive-t-on déjà au bout de l’hiver sans avenir ? » («wie kommt man noch gleich ohne zukunft durch den winter?») J’ai préparé trois réponses à cette question et tu peux choisir celle qui te convient le mieux ou en rajouter une.

  1. Avec perspective (mit Perspektive)
  2. Pas du tout (gar nicht)
  3. Par le présent (über die Gegenwart)

J’aimerais dire par le présent, mais cette option s’est perdue avec la crise du COVID. Moi je pense par l’écriture. En restant en mouvement et en s’exprimant.

Pour traduire la prochaine question je dois m’aider de l’anglais: Are you full with feeling or do you feel fullness? (Bist du gefüllt mit Gefühl oder fühlst du das Gefüll?). (Cette question peux être traduite en français par : Es-tu farcie de ressentis ou est-ce que tu ressens la farce ?)

Tu dis ça à cause du poème so viel gefüll ? J’étais inspirée par une carte de restaurant dans laquelle était écrit «gefühlte Aubergine» (aubergine ressentie) ou lieu de «gefüllte Auberine» (aubergine farcie) et de là je suis arrivée au «gefüll» au lieu du «gefühl». Et je pense que ces deux mots ont beaucoup à se dire.

De quoi rêves-tu ? Je fais référence au poème i have weird dreams with artichokes.

Les rêves dans mon sommeil vont trop loin. Mais dans mon état de veille je rêve d’un monde juste et égal.

Et la dernière question qui est inspirée de ton poème glühmotten (mites luisantes) je vais y répondre moi-même : est-ce que tu brilles dans l’obscurité ? (leuchtest du im dunkeln ?)

Oui.

Être auteur.ice aujourd’hui : un engagement multiple

Au cours d’une table ronde bilingue sur la question du rôle de l’auteur.ice dans la société, bien structurée, en présence de femmes intéressantes et engagées dans le milieu de la littérature, la modératrice Christa Baumberger propose en guise de fil rouge original et accrocheur une citation projetée à l’écran pour guider les trois intervenantes. La première, Ivna Zic est réalisatrice et autrice, la seconde, Noémi Schaub, est autrice et éditrice chez Paulette éditrice, et Nathalie Garbely est autrice et traductrice. Deux questions sous-tendent les discussions et guident les interventions : quel rôle peuvent, doivent et veulent avoir les auteur.ices ? Et comment le définir ? Pour initier les discussions, la modératrice projette une citation issue de l’hétérographe. On y parle de lieu, de voix et de lien, d’entrecroisement de lignes, de militantisme et de place publique qui permet à la voix d’être entendue. Christa Baumberger lance également les trois mots clés que sont la langue, les espaces et la collaboration. Puis, chacune des intervenantes est invitée, tour à tour, à lire un extrait de texte qu’elle a choisi pour introduire son propos. 

Pour Ivna Sic, la langue se doit d’être toujours en mouvement et interrogée, étant celle qui, par son expression, crée des étiquettes et impose des limites à la réalité. Le texte qu’elle lit retranscrit ce fonctionnement en mettant l’accent sur la nécessité de rendre visible la multiplicité des perspectives de manière simultanée et sur la question centrale du nom qui nous inscrit dans un contexte social.

Pour Noémi Schaub, c’est un lieu de rencontre que permet la langue et elle le présente à travers un extrait de la publication Quelques fleurs de Romy Colombe. K, parue dans la nouvelle collection Grattaculs chez Paulette éditrice. Cette collection, destinée à publier des écrits LGBTQIA+, veut offrir une plateforme d’expression et un safe space pour les personnes encore minorisées. 

Pour Nathalie Garbely, le lien est important puisqu’il s’agit toujours, dans l’usage de la parole, d’emprunter la langue collective et d’une ré-interrogation permanente de l’imaginaire qu’elle véhicule. À travers la lecture d’un poème personnel nommé Passer le seuil de la pudeur, elle joue sur la polysémie des mots et les significations des expressions françaises telles que la droite décomplexée ainsi que l’image de la montagne comme symbole de l’immobilisme de certaines pratiques linguistiques en Suisse. Elle interroge également la notion de pudeur dont l’usage au cours du temps a perpétué la perspective sexiste et dont l’origine sémantique latine l’oppose à la virilité. 

Au terme de ces discussions très enrichissantes, les intervenantes ont résumé leur perception du rôle de l’auteur.ice dans la société comme étant éminemment pluriel et rappellent par leurs parcours riches que l’engagement, bien que passant essentiellement par les lieux de rencontre et d’interrogation qu’ouvrent les mots, peut revêtir autant de casquettes qu’il existe d’auteur.ices.

Ouvrir la littérature au monde, avec Noémi Schaub

Noémi Schaub est autrice, coach littéraire, ancienne membre de l’AJAR (dont elle avait participé à la création), éditrice et co-directrice de Paulette Édition avec Guy Chevalley. Elle est invitée aux Journées littéraires de Soleure afin de participer à une table ronde ayant pour thème «Le rôle de l’auteur ou de l’autrice dans la société». En ce samedi, Noémi Schaub nous consacre un peu de son précieux temps, avant de se lancer dans la discussion intéressante qui l’attend.

En guise de teaser : quel est le rôle de l’auteur ou l’autrice dans la société, en quelques mots ?

Je crois que je n’ai pas tellement une approche théorique de la question mais plus quelque chose de pragmatique, dans les faits. Pour moi, le rôle de l’auteur n’est pas monolithique. Ce que j’essaie de faire, avec mon collègue Guy Chevalley, c’est justement de donner une place à l’écriture qui permette autant de faire vivre une expérience esthétique et littéraire au lectorat, que de lui amener peut-être des idées, des perceptions, des perspectives nouvelles. Du coup, pour moi, l’auteur, dans le meilleure des cas, c’est un mélange des deux. En tous cas, avec mon collègue, on défend beaucoup l’idée de travailler autant l’aspect esthétique des œuvres que leur contenu, et les deux vont ensemble en fait. Qu’il n’y ait pas de : ah oui mais le contenu est tellement fort donc on s’en fiche de la forme. On veut vraiment essayer de mettre les deux aspects en valeur. Parce que je pense que quand on lit un livre, la forme crée des émotions et que ces émotions permettent de mieux recevoir le contenu.

Si l’auteurice, joue un rôle dans la société, est-ce que la société joue un rôle sur l’écriture ? Est-ce qu’il y a besoin d’une base à l’écriture, que ce soit un évènement particulier ou autre ?

Je crois que oui. Et je sais qu’il y a beaucoup de débats ces temps-ci sur qui a le droit d’écrire quoi. Je ne suis pas pour une vision ra ! (avec un geste strict de la main). Enfin, ça part du texte pour informer les auteurs. Mais un texte qui parle de l’homosexualité qui ne peut être écrit que par un homosexuel : ça je pense qu’il faut le nuancer. Pour moi ce n’est pas une question de «droit» ou de «pas le droit», c’est une question «d’angle mort». La personne qui n’est pas concernée par ces enjeux là, même avec ses meilleures intentions, va avoir plein d’angles morts et finalement ne va pas nous donner, même en produisant un texte très réussi, ce que la littérature pourrait apporter : c’est-à-dire d’aller voir ces brèches et nous amener vers des endroits que l’on n’avait pas vus avant. Donc voilà, pour moi ce n’est pas une question d’intention ou de statut, c’est juste factuel : quand on n’a pas vécu les choses, il y a beaucoup d’angles morts. Alors bien sûr, avoir vécu les choses ou non c’est très vaste et très vague comme notion. […] Ceux ou celles qui écrivent un texte sur quelque chose qu’ils ou elles n’ont pas vécu, ce n’est pas qu’ils et elles n’ont pas le droit ou que c’est mauvais, c’est juste qu’il y a des choses qui manquent.

C’est peut-être une essence du texte qu’il faut amener au départ ?

Oui, ou alors comme vous disiez, est-ce qu’il faut un évènement ou quelque chose ? Je pense quand même que oui, l’expérience de la vie nous aide à trouver un certain regard sur les choses. Après, je ne suis pas du tout pour que la littérature ne soit que biographique. Mais on a vécu très longtemps dans une espèce de toute puissance des auteurs et de l’idée d’un génie qui – si on l’a – nous permet d’écrire tout ce qu’on veut. Mais ce n’est pas toujours très intéressant.

Vous qui êtes coach littéraire : est-ce qu’il faut une inspiration initiale à l’écriture, ou est-ce que l’on peut partir de rien pour créer un texte qui porte un sens ?

Comme je l’ai dit au début, je n’ai pas une vision théorique des choses mais plus empirique ou pragmatique. Du coup, quand je travaille avec des gens autour de leur texte […], je leur demande de me faire lire ce qu’ils et elles ont écrit et à partir de là, j’essaie de faire un état des lieux du chantier et d’aider les gens. Effectivement, ce qui est important pour moi quand je travaille avec quelqu’un, c’est de savoir pourquoi cette personne écrit, pourquoi elle écrit ça, et où est-ce qu’elle veut amener son texte. Donc ce n’est pas vraiment qu’il faut certains éléments, c’est juste qu’une fois que les choses sont posées, ça se voit très vite si la personne a juste voulu écrire ou si elle avait quelque chose à dire. Le travail de coach consiste beaucoup à enlever tout ce que la personne croyait qu’il fallait dire pour trouver ce qu’elle veut dire. Pour revenir à l’élément que j’ai dit avant […], je ne fais jamais un interrogatoire identitaire : oui mais tu l’as vraiment vécu ça ? Pas du tout, c’est juste que souvent, quand on creuse, quand on essaie d’approfondir le texte, on arrive très vite à voir s’il y a des angles morts ou pas. La personne qui a écrit réalise souvent qu’il faut s’en débarrasser.

Ces «angles morts», est-ce que je peux les comparer à l’idée de partir d’une chose de vécue pour plonger dans la fiction, comme une entrée en fiction ?

Tout à fait, je pense que c’est une affaire de conscience en fait. […] En prenant un exemple vécu sans savoir si c’est la bonne réponse : j’ai fait partie pendant 10 ans d’un collectif littéraire, l’AJAR, et on a écrit Vivre près des tilleuls, qui était le journal intime d’une femme qui a perdu son enfant. Un drame horrible alors qu’on était plus jeune à l’époque. La plupart d’entre nous n’avions pas d’enfant, mais on l’a écrit et je pense qu’effectivement il y a des angles morts. Mais il y a le miracle de la littérature et je pense qu’on a vraiment créé le personnage pendant des mois et des mois, on a vécu avec dans nos têtes donc il avait pris une existence un peu mystique. Ce n’était pas juste une prémisse littéraire ou un concept qu’on aurait posé, je pense que ça aide. Et ensuite, il y a l’évènement : perdre un enfant, qui vient toucher à des questions de la mort, de la finitude des choses, etc. Ce sont des choses dans lesquelles on peut se projeter et en l’occurrence, on a exploré ce qu’était l’écriture collective et d’avoir plusieurs subjectivités qui viennent amener des éléments et peut-être combler ces angles morts. Mais c’est vrai que juste avant de publier on se demandait: mais on est zinzins ? […] Après la publication on a fait des lectures et il y a des femmes dont c’était la vie qui sont venues nous voir en nous disant : ça fait des années que j’essaie d’écrire un livre là-dessus, vous avez écrit le livre que je voulais écrire. Et nous on se disait : oh my god (rires).

Est-ce que ça engage une culpabilité ou une fierté de se dire qu’on a réussi à écrire ce que d’autres avaient vécu ?

Sur le moment c’est en train de nous arriver donc on le rationalise en se disant : ah bah oui on a fait tout bien, on a fait tout juste, ç’en est la preuve. Après, avec les années qui passent et l’expérience, je nuancerais ça. […] Pour moi c’est moins grave de s’approprier un évènement, tout en disant très clairement que c’est de la fiction. […] Mais s’approprier un évènement fictionnel c’est différent que de s’approprier une identité. Ça ne pose pas les mêmes questions et là je crois qu’on était dans un cadre d’appropriation d’évènement et pour moi, les frontières sont plus floues puisque c’est précisément de la fiction.

Et c’est un évènement qui peut potentiellement arriver à plus d’une identité.

Exactement. Parce que là si on dit qu’on ne peut plus s’approprier des évènements bon bah… on tue une grande partie de la littérature.

Entre le collectif AJAR, votre métier d’éditrice et de coach littéraire, et vos publications dans des ouvrages collectifs, vous êtes habituée à travailler avec beaucoup de monde. Est-ce que ça démontre une certaine conception de l’écriture qui doit se faire à plusieurs et doit être discutée ?

Je pense que le fait d’écrire à plusieurs n’est pas pareil que, par exemple, coacher ou réaliser un travail éditorial. Dans le travail éditorial, il y a deux statuts différents. Il y a un statut créateur et un statut aiguilleur. Du coup, je suis toujours choquée d’apprendre qu’il y a des éditions qui ne font pas de travail éditorial, c’est un fait. […] Je dis toujours : le premier acte d’écriture est de l’art et le travail éditorial est de l’artisanat. […] Et je sais qu’il y a des personnes qui ont cette perception que l‹art c’est l’art, l’artisanat c’est l’artisanat et que si on fait de l’édition ou un travail éditorial sur un texte, quelque part c’est sale, c’est pour le rendre vendable, mainstream. Mais moi je ne crois pas du tout en ça. Enfin, j’ai l’impression que justement le rôle de l’éditrice est de faire le relais entre l’acte créatif et le public. Et aussi, justement, d’essayer de trouver ce qui est essentiel dans le texte et puis le reste on peut l’enlever, voilà. Tandis que la création collective c’est quelque chose de merveilleux qui peut générer des choses incroyables et, comme je le disais, réunir plusieurs subjectivités. Simplement, c’est très difficile parfois d’avoir une direction artistique, parce que justement si tout le monde amène plein d’idées et qu’il n’y a pas une sorte de hiérarchisation, on arrive devant ce que j’appelle un gloubi-boulga d’idées très bonnes mais qui ne devaient pas forcément être ensemble. Fort heureusement je crois qu’à l’AJAR, les projets qu’on a faits ont réussi à avoir une direction. Mais je ne dirais pas que c’est un principe en soit, il faut voir plusieurs étapes de création. Il y a le brainstorming qui est effectivement génial quand on est à plusieurs comparé à quand on est tout seul. Mais le «travail ensemble» est quand même très proche, il faut une humilité du texte, et l’AJAR m’a appris à avoir cette humilité du texte qui n’est rien d’autre qu’une matière. Oui, il y a quelque chose qui se passe quand on écrit et qui est très intime. Mais au final c’est juste de la matière. […]

Est-ce que c’est important pour vous de faire naître de nouveaux auteurs ou de nouvelles autrices, de leur permettre de créer ?

Dans la mesure où je n’ai pas prévu de faire d’enfants, oui (rires). Ah (soupir) c’est une très bonne question – parce que oui. Et, en même temps, à chaque fois que je vais à un salon du livre et que je vois le nombre d’auteurs je me dis : mais faut-il ? Il y a déjà assez et en même temps on voit très bien que même s’il y a déjà assez, ce n’est pas grave, car la littérature a toujours été un lieu de subversion. Les institutions culturelles nettement moins. Oui, il faut continuer à faire exister de nouvelles voix. Avec Paulette, ce qu’on essaie de faire dans la collection Grattaculs c’est vraiment, et non pas pour des questions de marketing ou de vente, d’aller chercher un nouveau public. Un public qui justement ne se sentirait pas d’aller aux Journées littéraires de Soleure, qui est un superbe festival, mais il faut quand même se sentir à l’aise de venir dans un endroit pareil. […] Avec Guy on fait bon teint aussi aux Journées littéraires de Soleure, mais on se demandait comment faire pour aller toucher un nouveau public et aller voir de nouveaux auteurs ou de nouvelles autrices, surtout queer qui, en voyant le public et les invités de Soleure, se diraient : jamais j’enverrai un texte dans une maison d’édition. C’est un monde qui peut faire très peur. […] Avec Guy on essaie d’aller voir des associations LGBTQIA+, d’aller sur place faire des rencontres avec le public, présenter ce qu’on fait. Et aussi beaucoup travailler avec Instagram, pour les mêmes raisons : trouver d’autres canaux, d’autres publics. Et également avec le magazine 360° qui est un super partenaire. Voilà c’est ça, changer le petit microcosme, qui est très micro.