Participer à l’univers

Laurence Boissier publie Rentrée des classes, un roman sans romanesque à la puissance descriptive cosmique. C’est l’univers – l’espace, le lieu – qui est ici le cœur du texte, pas d’action et le moins d’événements possibles : « Je préfère quand l’auteur n’impose pas ses enjeux, n’inflige pas de suspens au lecteur » nous dit Laurence Boissier. « C’est le rapport entre l’insignifiance de l’événement et l’importance de l’émotion que je recherche ». Du microscopique au macroscopique, tout est une question d’échelle, afin de prendre la bonne distance ; et de volume, afin de mesurer les valeurs des grandeurs.

Mathilde, une jeune fille matheuse et très timide, son frère Henry, peu motivé à s’inscrire dans le cadre étroit de l’école, et leur mère Élise ont perdu le père de la famille. L’événement est passé – presque clos – et il n’y a plus rien à faire. La vie ne s’est pas arrêtée et la terre poursuit sa rotation. Seuls restent quelques malaises, quelques maladresses, de la part des voisins ou d’Hubert Vagnière, le patron d’Élise, qui n’est jamais à la bonne place. Est-ce qu’au fond, ce ne sont pas les absents qui auraient toujours raison ?

Pour Laurence Boissier, écrire ce livre, c’est l’espoir de donner un peu de bonheur, un bonheur calme, un « pétillement, comme l’Henniez verte, pas l’Henniez rouge » ; c’est aussi se rappeler de son privilège : « Non pas un privilège par rapport aux autres, le privilège d’avoir conscience de participer à l’univers ».

– Je crois que j’ai trouvé ce que c’est, le principal de la vie.
– On avait dit que ce n’était ni la santé, ni d’avoir été en vie, se rappelle Chiara. Il ne restait pas grand-chose, à vrai dire.
Mathilde lève son visage vers elle.
– Si, je crois que je sais. Le principal, c’est de participer à l’univers.
– Participer à l’univers ?
– Oui, participer à l’univers !

Dans cette Suisse des années 70, l’émancipation de la femme, la migration, le deuil ne sont jamais des sujets, ils sont simplement là, ils sont suggérés. « J’ai des opinions, mais je ne suis pas une militante, j’essaie surtout d’être proche de la réalité. » Rentrée des classes n’est pas un roman pour s’évader, c’est un récit de réalité, un morceau de vrai « pas du tout artificiel », comme l’est l’humour dans ce texte, naturel, pas fabriqué : « Un livre consiste à emmagasiner l’amour que j’essaie de lui donner et le rendre. » Un texte plein de gravité, de gravité physique, un texte universel et donc essentiel.

Laurence Boissier, Rentrée des classes, Art&Fiction, 2017.