Une traduction de fou

 

Le fou du roi. Comme un conte des mille et une nuits mais au XXe siècle, à la cour du roi marocain Hassan II. C’est la parole d’un père, bouffon du roi, dont l’un des fils a été arrêté lors d’un attentat. Et après quelques minutes de discussion, Mahi Binebine explique allégrement à l’assemblée qu’il s’agit bien de son père et de son frère, ce dernier enfermé dans ce qu’il appelle un « mouroir, un camp de concentration presque ». Avec Le fou du roi, le fils prend la voix du père pour le réconcilier avec le frère. Délicat comme démarche non ? Et Mahi Binebine de répondre avec un éclat de rire : « Faut être schizophrène comme les écrivains. Ils sont tous schizophrènes ! »

A côté lui, Regina Keil-Sagawe, traductrice du roman évoque la difficulté de retranscrire en allemand une langue comme celle de Mahi Binebine, parsemée de mots arabes, en un sens, métissée. Il faut prendre les mots directement en arabe pour les reproduire en allemand, explique-t-elle, traduire directement du français ne fonctionne pas.

Mais d’où part le langage du récit ? Mahi Binebine nous parle de francophonie. La langue qu’il utilise est française, mais avant tout marquée d’une vieille culture arabe qu’elle porte en elle. Pourtant, elle n’est qu’un outil. Ce qui importe, c’est ce qu’on raconte avec. Et avec la traduction de cette langue, « parfois on y gagne, parfois on y perd. C’est comme ça ! » Toujours en riant, il explique sa surprise lorsqu’il a appris que la traduction allemande du titre de son roman Cannibales était Wilkommen im Paradies. « Vous voyez, ça n’a rien à voir, mais c’est tout aussi bien ! C’est plus poétique. »

Donc traduire enrichit. Parfois on y perd aussi, mais c’est le jeu. Pour Regina Keil-Sagawe, il y a toujours quelque chose qui échappe et qui résiste à la traduction. Et lorsqu’intrigué par cette affirmation je demande si cette dimension intraduisible est une perte de la traduction, Mahi Binebine rit encore et m’explique que la langue n’est pas un élément fondateur de ses romans. Il l’utilise, il en fait ce qu’il veut, à la rigueur il s’amuse avec, mais la traduction ne vient en aucun cas altérer le contenu.

En partant, Mahi Binebine me gratifie d’un immense sourire. Sa jovialité est contagieuse et c’est aussi en souriant que je cherche Le fou du roi dans les rayons de la librairie.

Aminoël Meylan

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